Bioplastique, biofantastique : Un plastique à base de lin
Publié par Le Dôme, le 12 décembre 2023 980
S’il est vrai que le plastique est la plus grande pollution de tous les temps, peut-on compter sur les bioplastiques et les matériaux biosourcés pour le remplacer ? Telle était la question posée aux publics de cette nouvelle édition des rencontres “Le vrai, le faux, le flou” le 17 octobre 2023. Dans cette troisième et dernière partie de la restitution de cette rencontre, les spécialistes évoquent leurs recherches autour d’un bioplastique à base de lin.
Deux millions de tonnes de plastique produites en 1950, 234 millions en 2000, 460 millions aujourd’hui et, selon l’OCDE, entre 800 millions et 1,2 milliard en 2060… dont plus de 10% échapperaient aux systèmes de gestion des déchets et finiraient directement dans la nature. Dans nos océans, nos sols et notre assiette. Si les scientifiques peinent encore à mesurer l’ampleur du phénomène – certain·e·s prédisent qu’il y aura plus de plastique que de poissons dans les océans en 2050 – tous et toutes se disent préoccupées par les conséquences écologiques et sanitaires de “la plus grande pollution de tous les temps”.
Face à la menace que font peser les plastiques sur notre planète et sur nos vies, les scientifiques et les industriels travaillent à des alternatives plus durables, biosourcées et biodégradables. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Après avoir décrypté ce que l’on nomme “plastiques” et leurs cycles de vie puis avoir explicité la problématique de la fin de vie de ces matériaux, les spécialistes expliquent leurs recherches autour d’un bioplastique à base de lin.
UN BIOPLASTIQUE À BASE DE LIN
Parmi les alternatives envisagées, le matériau composite biosourcé, à base de fibres végétales comme le chanvre et le lin, séduit grâce à sa souplesse, sa légèreté et sa solidité et surtout son meilleur bilan environnemental. Renforcer la fabrication du plastique par des fibres végétales permet d’en améliorer certaines “performances”.
Le groupe Depestele, leader de la transformation du lin en France, possède trois usines de production en Normandie. “Nous collectons la paille des agriculteurs normands, à moins de 50 kilomètres de nos usines, en séparant les constituants (fibre, bois, grain et poussière) et revendons les éléments séparés”, explique Davy Duriatti, responsable R&D du groupe. Les fibres de lin, jusque-là utilisées dans l’industrie textile, font l’objet depuis une quinzaine d’années de recherche de nouveaux débouchés.
“Nos clients utilisent nos fibres pour faire des matériaux biocomposites” que l’on retrouve dans l’automobile, l’aéronautique, le nautisme, les éoliennes ou les sports et loisirs. Le groupe a été retenu dans le cadre du Plan France 2030 pour un projet baptisé “Prosperity” qui vise à remplacer sa méthode de fabrication de rubans souples de lin servant à renforcer les polymères, par un procédé plus efficient et moins énergivore. Il s’est associé dans ce programme de recherche au laboratoire "Aliments, bioprocédés, toxicologie et environnements" (ABTE) : l’enseignant-chercheur Joël Bréard en est le co-porteur du projet.
"L'objectif est de créer un bioplastique 100% ressourcé
et 100% biodégradable à base de fibre de lin"
— Joël Bréard, Enseignant-chercheur (ABTE)
“L’objectif est de créer un bioplastique 100 % ressourcé et 100 % biodégradable à base de fibre de lin”, explique ce dernier. L’idée est de trouver une alternative à certains substrats (qui alimentent la fermentation bactérienne) avec des déchets, et des solvants (des additifs qui jouent un rôle dans la fabrication du plastique) les moins toxiques possible. “Ce que l’on souhaite, c’est composer une synthèse maîtrisée d’une famille de bioplastiques, en essayant d’avoir une approche soutenable, avec un apport de matière et d’énergie les moins impactants”, poursuit Joël Bréard, qui concède : “On manque de nombreuses données, mais cela fait partie du projet.”
L’ANALYSE DES COÛTS
Les bioplastiques sont-ils compétitifs financièrement par rapport aux plastiques conventionnels ? “Aujourd’hui, pas encore”, admet Joël Bréard. Rappelons qu’ils n’équivalent encore qu’à moins de 1 % de la production mondiale de plastique. “Mais si on intègre le coût de la dépollution, si l’on considère leur cycle de vie, ils le deviennent. Le problème de la pollution, ce sont les conséquences sanitaires et de santé, sur les animaux, sur l’écosystème et sur nous-mêmes. Le premier réflexe est de considérer davantage la biodégradabilité des plastiques.”
L’analyse du cycle de vie (ACV) des matériaux permet d’en mesurer l’empreinte écologique (PEF, pour *product environmental footprint*), au travers de nombreux critères : consommation d’eau, utilisation des terres, épuisement des ressources, eutrophisation, particules, etc. “On essaie de calculer cette empreinte de la graine que l’on plante jusqu’au produit en lin que l’on travaille chez Depestele”, précise Davy Duriatti. “Au PEF, nous ajoutons notre impact en tant qu’industriel.”
Pour Joël Bréard, le lin comporte un certain nombre d’avantages, d’abord parce que les éléments structuraux de cette matière naturelle végétale (cellulose, lignine, hémicellulose, pectine) sont des polymères naturels, mais aussi parce qu’il nécessite peu d’eau pour sa culture. Charge aux cultivateurs d’éviter d’utiliser des intrants agricoles. Le lin biologique représente environ 1 % de la surface produite, relève l’enseignant-chercheur. “L’objectif est de limiter l’impact environnemental sur tout le processus. Et c’est là que l’analyse du cycle de vie, qui est une norme ISO servant à comparer les produits, entre en compte.”
Une étude de la Confédération européenne du lin et du chanvre (CELC), réalisée par le bureau d’étude Yukan en février 2022 sur la fibre de lin teillée European Flax®, confirme ses propos : “Cette fibre naturelle et végétale se veut particulièrement engagée en termes de RSE grâce à des méthodes de production à faibles impacts. Une culture de rotation, raisonnée, sans OGM, sans défoliant et sans irrigation (sauf circonstances exceptionnelles), une extraction de la fibre par un procédé 100 % mécanique (teillage) et zéro déchet.” Actuellement, néanmoins, il s’agit d’une étude non comparative, “faute de données PEF sur d’autres fibres ou produits”.
"On va améliorer l'impact environnemental, il n'y a aucun doute.
On aura un gain, mais ce que l'on ne sait pas, c'est de combien."
— Davy Duriatti, Responsable R&D (Groupe Despestele)
Peut-on extrapoler et conclure que le bioplastique à partir de fibre de lin sera plus vertueux ? “On va améliorer l’impact environnemental, il n’y a aucun doute”, affirme Davy Duriatti. “D’autant plus que le laboratoire ABTE travaille sur des solutions sans solvant ou avec des solvants moins impactants. On aura un gain, mais ce que l’on ne sait pas, c’est de combien.”
DES GÉNÉRATIONS PLASTIQUES
Le Dôme a été sollicité pour mener un programme de recherche participative en marge du projet “Prosperity”, baptisé “Des générations plastiques”. Il a pour objectif de développer, d’ici à 2026, des protocoles de mesure de la pollution plastique et de proposer des alternatives visant à réduire l’impact écologique de notre consommation.
“On doit faire attention à ne pas réitérer les erreurs que l'on a commises
pendant cinquante ans avec le plastique.”
— Silvère André, Ingénieur (CEDRE)
“Est-ce qu'il ne faudrait pas chercher une autre matière ?”, questionne justement un participant. Là, les intervenants sont unanimes : il faut d'abord apprendre à ne plus utiliser de plastique partout, à s'en passer dès que c'est possible. “Il faut l'utiliser là où il y en a besoin, où les performances du plastique le justifient”, insiste Davy Duriatti. Et Joël Bréard d'ajouter : “Réduire cette dynamique, repenser son usage, c'est la seule solution.” Quant aux bioplastiques, Silvère André met en garde : “On doit faire attention à ne pas réitérer les erreurs que l'on a commises pendant cinquante ans avec le plastique.”
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Le programme “Des générations plastiques” est porté par le laboratoire “Aliments, bioprocédés, toxicologie et environnements” et Le Dôme. Il bénéficie du label “Science avec et pour la société” décerné par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Crédits : Marie Van Landuyt (Le Dôme, DR).
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