CyberCrypt, Prix Musée Schlumberger 2017

Publié par Guillaume Dupuy, le 3 juin 2017   5.3k

Le 25 avril dernier, le GREYC recevait pour la seconde fois le Prix Musée Schlumberger pour le projet “CyberCrypt”. Rencontre avec les membres de l’équipe lauréate.

Elles étaient 4 équipes de recherche normandes à candidater cette année pour la 8ème édition du concours “Têtes chercheuses”. Au terme d’un débat animé dans le jury, c’est le Groupe de recherche en informatique, image, automatique et instrumentation de Caen (GREYC), en association avec Orange Labs, qui a été désigné lauréat du Prix Musée Schlumberger 2017 pour le projet “CyberCrypt”. Un doublé pour ce laboratoire déjà récompensé pour “Captil” en 2013.

Quelques semaines après la remise officielle du trophée organisée par la Fondation Musée Schlumberger à l’occasion du premier anniversaire du Dôme, nous sommes allés à la rencontre des membres de l’équipe : Julien Clément, Chargé de recherche (CNRS) et Responsable de l’équipe AMACC, Sébastien Canard, Ingénieur de recherche (Orange Labs, chercheur associé au GREYC), Loïck Lhote, Enseignant-chercheur (Université de Caen Normandie), Marie Paindavoine, Ingénieure de recherche (Orange Labs) ainsi que Solenn Brunet, Donald Nokam Kuate et Quentin Santos, tous trois doctorants à Orange Labs. Alors, CyberCrypt, c’est quoi ?

Bonjour à tous. C’est donc une nouvelle fois le GREYC qui est lauréat du Prix Musée Schlumberger cette année. Pouvez-vous nous représenter ce laboratoire, l’un des plus importants de Normandie, si je ne me trompe pas ?

Loïck : Le Groupe de recherche en informatique, image, automatique et instrumentation de Caen (GREYC) est un laboratoire commun à l’Université de Caen Normandie, à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Caen (ENSICAEN) et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). C’est un laboratoire qui s’inscrit dans les sciences du numérique allant de l’électronique à la sécurité informatique en passant par l’intelligence artificielle, le traitement d’images ou encore l’algorithmique. Il compte plus de 220 membres répartis dans 7 équipes dont l’équipe “Algorithmique, modèles de calcul, aléa, cryptographie et complexité descriptive” (AMACC) à laquelle nous appartenons et qui est dirigée par Julien Clément.

Julien : Notre équipe compte une vingtaine de personnes dont des membres associés issus d’Orange Labs, comme Sébastien. Au sein du GREYC, nous travaillons à l’interface entre l’informatique et les mathématiques. Nous étudions en particulier les algorithmes et la façon dont peut modéliser un calcul. Des extensions du célèbre "Jeu de la vie", introduit par John Conway dans les années 70, les automates cellulaires, sont un système simple qui, dans un certain sens, "calcule" des choses. Ils font encore aujourd’hui l’objet d’une recherche active.

Loïck : Il y a deux aspects dans cette recherche. La première partie de l’équipe se concentre sur la compréhension théorique des algorithmes. Il s’agit d’observer les problèmes pour définir lesquels sont faciles ou difficiles et comment résoudre un problème peut-il aider à la résolution d’un autre. Il y a ensuite l’analyse des performances pour définir l’algorithme le plus efficace en fonction des situations. Pour les dictionnaires numériques, par exemple, on recherche le mode de stockage le plus efficace pour faciliter les opérations telles que l’insertion ou la recherche de mots.

Quel est le rapport entre cette recherche et la cryptographie, le sujet de “CyberCrypt” ?

Sébastien : Le lien avec la cryptographie est historique. L’étude de la complexité des algorithmes nous est indispensable pour définir le niveau de sécurité et d’efficacité des systèmes cryptographiques que nous développons.

Justement, en quoi consiste la recherche en cryptographie ?

Sébastien : On parle en fait de cryptologie qui comporte deux aspects. Il y a d’abord la cryptographie qui est la conception de systèmes de sécurisation. Il y a ensuite la cryptanalyse qui se concentre sur la mise en défaut de ces systèmes. Ces deux recherches avancent en parallèle, l’une ayant besoin de l’autre pour s’assurer que les nouveaux produits soient bien sécurisés.

C’est donc une recherche très appliquée ?

Sébastien : Oui et non. Il y a bien sûr derrière cette recherche le développement des services du futur liés à l’émergence de l’Internet des objets ou le Cloud computing [Système de stockage de données à distance, ndlr]. Il y a aussi une recherche à plus long terme. On parle beaucoup de la création d’un ordinateur quantique capable de casser une grande partie de la cryptographie actuelle. Même si ce n’est pas pour tout de suite, nous devons anticiper cette possibilité et rechercher de nouveaux systèmes dès à présent.

Parlons maintenant du concours “Têtes chercheuses”. Qu’est-ce qui vous a poussé à candidater ?

Sébastien : C’est venu d’une discussion avec des chercheurs du Laboratoire de mathématiques Nicolas Oresme (LMNO). Nous avons participé à la Fête de la Science l’an dernier. Nous voulions montrer au public, et notamment aux enfants, comment fonctionne la cryptographie avec de petits jeux. Nous nous sommes lancés avec nos propres moyens : des rouleaux de papier absorbant, des boîtes à chaussures, des cadenas, … Nous avons vraiment monté nos ateliers de bric et de broc avec tout ce que l’on a pu. Notre stand était situé juste à côté de celui du LMNO. Pendant 2 jours, nous avons vu à plusieurs reprises des enfants arriver, regarder notre installation bricolée avec nos boîtes de toutes les couleurs et puis celle du laboratoire de mathématiques avec les belles manipulations de son “Labosaïque”. Ils choisissaient la plupart du temps d’aller vers les maths. On a donc discuté avec nos collègues du LMNO. Ils nous ont dit avoir participé au concours “Têtes chercheuses” il y a quelques années [le “Labosaïque” est le lauréat du Prix Musée Schlumberger 2011, ndlr], que le Prix leur avait permis d’élaborer des ateliers plus qualitatifs pour les publics. On s’est donc dit : pourquoi pas nous ?

Pourquoi cette envie de parler de vos recherches aux publics ?

Sébastien : Personnellement, c’est une partie de mon activité qui me manquait. Nous faisons très régulièrement des présentations devant d’autres chercheurs avec qui nous allons très loin dans les détails mathématiques. À Orange Labs, nous sommes aussi amenés à présenter des services à des clients avec un discours très technique. Il manquait un troisième aspect, comment expliquer cela à des enfants, les miens compris ? Le challenge m’est apparu intéressant à relever.

Julien : Que ce soit avec leur carte bancaire ou leur téléphone portable, la plupart des gens utilisent ces services au quotidien mais ils ne connaissent pas les mécanismes de base.

Marie : Pour moi, l’envie est venue après avoir participé à plusieurs ateliers militants. Très vite, des gens sont venus me voir pour me dire : la cryptographie, c’est pour les criminels ! Mais non, la cryptographie, c’est pour tout le monde et c’est important de la comprendre parce que cela arrive dans le débat public. Ce qui va être intéressant avec “CyberCrypt”, c’est que l’on va à la fois pouvoir s’amuser avec les enfants, leur faire comprendre comment chiffrer et déchiffrer, mais aussi parler des usages quotidiens aux parents. Ce double discours va être extrêmement enrichissant.

Alors justement, “CyberCrypt”, c’est quoi ?

Marie : “CyberCrypt” va se présenter sous la forme d’un jeu de plateau. Les joueurs y incarnent une équipe qui souhaite lancer leur entreprise sur Internet. Étape après étape, ils vont se trouver confrontés à des évènements qui vont nécessiter le recours à des outils cryptographiques pour sécuriser leur travail. Différents ateliers seront ainsi proposés pour illustrer différents mécanismes de cryptographie simples et pourtant toujours d’actualité.

Quels sont ces mécanismes ?

Marie : On aimerait tout d’abord présenter des systèmes utilisés depuis l’Antiquité tels que la roue de César, qui consiste simplement à décaler les lettres de l’alphabet, ou la scytale, un cylindre autour duquel on enroule une lanière de cuir. Ces mécanismes de substitution et de permutation, même très simples, sont à la base des systèmes utilisés aujourd’hui. Leur présentation nous permet donc d’évoquer ensuite les outils plus récents comme la machine “Enigma”. On souhaiterait également présenter le système basé sur le principe de la clé et du cadenas. Contrairement à la roue de César et à la scytale, celui-ci ne nécessite pas que les personnes se mettent d’accord sur le code : une personne dépose un message sensible dans une boîte fermée, et seule celle qui a la clé peut l’ouvrir. C’est le mécanisme utilisé pour le fameux “https”, le protocole de transfert sécurisé utilisé par Internet.

Le projet “CyberCrypt” a été en partie imaginé à l’occasion d’une journée de co-création avec les publics en mars dernier. Que reste-t-il de cette collaboration dans le projet final ?

Solenn : La notion de jeu tout d’abord. Avant cette journée, nous pensions juste présenter la série de petits ateliers que nous avions imaginé pour la Fête de la Science en 2016. Les échanges avec les lycéens, les étudiants et les professionnels ont apporté l’idée de concevoir un jeu complet.

Sébastien : Cette phase de co-création a effectivement mis en évidence la nécessité d’étoffer l’environnement de nos ateliers, d’écrire une histoire pour embarquer le public dans une expérience unique. C’est ce qui a été très positif pour moi.

Marie : C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de propositions des participants. La première difficulté a donc été de sélectionner celles qui répondaient réellement à notre objectif. Il y avait par exemple un grand nombre d’idées autour des bonnes pratiques d’usage d’Internet mais ce n’est pas le cœur de notre recherche. Nous avons donc fait le choix de ne pas les garder. Par contre, ce sont les participants qui ont évoqué la machine “Enigma” qui n’était pas dans le projet initial.

Julien : Cette machine est revenue dans l’actualité avec le film “Imitation game” qui a eu un fort retentissement. Au-delà de l’intérêt historique, cette machine s’intègre parfaitement dans notre démarche de médiation puisqu’elle exploite bon nombre des mécanismes dont nous venons de parler. Elle a donc également été intégrée au projet soumis au jury du concours “Têtes chercheuses”.

Une chose est étonnante dans votre projet. Vous allez parler de sécurité numérique sans jamais utiliser un écran ou un ordinateur. Est-ce également une idée née lors de la journée de co-création ?

Marie : Nous nous en sommes rendu compte assez tardivement. Nous étions déjà sur cette dynamique lors de la Fête de la Science 2016 mais c’est au moment de cette journée de créativité que l’on nous a souligné ce point.

Julien : J’ai trouvé ça très intéressant lorsque j’ai découvert le projet final. Le numérique ne parle pas à tout le monde. C’est bien d’avoir des objets que l’on peut toucher pour se rendre compte de la réalité des choses.

Marie : C’est vrai. Le numérique a cet aspect très détaché du réel, ce qui n’est pas forcément pertinent lorsque l’on veut faire passer un message. On reste dans l’abstraction. Là, nous allons proposer des choses très concrètes. Les gens vont manipuler. On va réellement fermer une boîte avec un cadenas, on ne va pas juste cliquer sur un bouton “Fermer”. Je pense que cela va leur permettre de mieux retenir les informations.

Sébastien : L’expérience nous l’a confirmé. Nous avions un logiciel sur notre stand l’année dernière mais nous nous en sommes très peu servi. Finalement, les publics comprennent que la cryptographie, c’est très simple. On y arrive avec les mains.

Le projet “CyberCrypt” sera présenté pour la première fois en octobre prochain, lors de la prochaine Fête de la Science. Quelles sont les prochaines étapes d’ici là ?

Sébastien : Nous allons participer en juin à une rencontre avec des lycéens. L’idée est de valider le concept du jeu et d’affiner le scénario. Nous avons beaucoup d’idées mais nous commençons à saturer. Cette étape va nous permettre de prendre du recul pour confronter nos idées et nous corriger. Nous allons ensuite nous concentrer sur la fabrication des objets. La principale difficulté devrait être la réalisation des mécanismes de la machine “Enigma” que nous souhaitons imprimer en 3D ou découper au laser... Un vrai défi !

On vous donne donc rendez-vous du 7 au 15 octobre prochain pour la Fête de la Science pour découvrir tout cela et d’ici là, bon courage !


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