L'acceptabilité sociale : Une affaire de posture(s) ?
Publié par Félix G.R. Turmel, le 12 janvier 2021 1.2k
Voilà plusieurs années maintenant que je rencontre çà et là des porteurs de projets au fil de mes recherches. Si leurs profils sont hétérogènes, à l’instar des projets qu’ils initient, ces derniers me font part de problèmes similaires. Dans ce premier billet, focalisons-nous sur l’un de ces questionnements : Comment génère-t-on de l’acceptabilité sociale ?
Si vous lisez ce billet, il y a fort à parier que vous connaissez déjà l’acceptabilité sociale. En réalité, je n’ai jamais rencontré de porteur de projet à qui ce concept soit étranger. Pourtant, si tous le mobilisent, comment expliquer l’accroissement des blocages dans l’implantation des projets ? Pour répondre à cette question intéressons-nous aux différentes perceptions qu’ont les porteurs de projets de ce qui fait l’acceptabilité sociale.
Les 4 postures
Sur la base des travaux réalisés ces deux dernières années, j’identifie 4 postures[1] idéales-typiques que l’on retrouve fréquemment chez les porteurs de projets :
L’autorité experte : C’est l’idée que seul le porteur de projet, l’organisme pour lequel il travaille ou les institutions spécialisées soient compétents pour émettre la décision finale, justifiée par leurs expertises du domaine. Ils décident parce que ce sont eux les « experts ».
Lorsque les porteurs de projets sont dans cet optique, ils imposent leurs idées sans concession au détriment des aspirations collective : « ça passe ou ça casse ». Dans la quasi-totalité des cas observés ils ont donc une mauvaise opinion de la société civile. Les contacts entre ces deux groupes sont presque uniquement conflictuels.
On peut également constater que les porteurs de projet ayant adopté une autre posture ont une mauvaise opinion de cette pratique, nombreux sont ceux qui la qualifie de « moyenâgeuse » ou encore de « dépassée ».
La reproduction : Dans cette posture, les porteurs de projets ne mobilisent pas les citoyens, non pas parce que ceux-ci ne sont pas assez compétents (cf : autorité experte), mais parce qu’ils ne voient pas l’intérêt de les mobiliser. En effet, ils estiment que ce type d’approche serait trop couteux sur le plan humain, financier et technique. Les porteurs de projets sont alors dans une logique de réitération, reproduisant des méthodes déjà en place dans les années 1990. Bien que ces méthodes puissent encore fonctionner, elles n’ont que très peu suivies l’évolution de nos sociétés et se heurtent à des réticences croissantes.
Le plus souvent, ils mettent en place des projets qui aboutissent sans encombre et pensent donc que ceux-ci sont acceptés. En réalité, l’absence d’opposition est le fruit de la méconnaissance des projets par la société civile[2]. Malgré la satisfaction de pouvoir réaliser leurs projets, ces porteurs souffrent de plus en plus d’un manque de reconnaissance de leur travail. Ces derniers doivent composer avec une frustration grandissante qui entame leur motivation et fini par contaminer les ambitions de l’institution qui les emplois.
La participation partielle : Annoncée comme « démocratie participative » ou « mobilisation citoyenne », cette posture est mise en place par les porteurs de projets dans l’optique de « co-construire ». En principe, elle mobilise l’ensemble des acteurs autour de la table avec pour objectif de co-décider de l’ensemble du projet.
Cette posture est de plus en plus valorisée dans le développement de projets. On peut malgré tout observer que lorsque le projet est dévié de sa trajectoire par la société civile, les porteurs ont une forte tendance à quitter le modèle participatif pour adopter une posture « d’autorité experte » : nettement plus radicale. La principale raison de ce revirement provient de la manière dont sont montés les projets. Qu’ils soient encadrés par la loi NOTRe ou à l’initiative des porteurs, les processus de co-construction font intervenir les citoyens dans une phase déjà avancée des projets. Les participants aux processus doivent donc composer avec une base qui ne leur convient pas nécessairement et il est courant que les premières minutes du processus soient source de conflit.
La co-construction : Présentée de la même manière que la participation partielle, la co-construction permet de mettre en place une réponse jugée « juste » et « honnête » par l’ensemble des parties prenantes. Pour être pleinement réalisable, il est nécessaire que cette démarche fasse intervenir l’ensemble des acteurs dès le début du processus. La principale difficulté pour les porteurs est d’accepter de naviguer à l’aveugle et que le projet puisse prendre une orientation différente de celle qu’ils avaient envisagés.
Bien qu’elle soit extrêmement rare, cette posture donne des résultats tout à fait surprenants. Elle permet de générer l’adhésion des citoyens autour des projets co-construits, d’accroitre considérablement leur confiance dans les institutions porteuses de projets mais aussi de développer l’intelligence collective d’un territoire. A moyen terme, cela fluidifie davantage la capacité d’un territoire à s’adapter à un problème et à trouver des solutions. A noter que malgré la croyance populaire, la co-construction s’avère moins onéreuse que la participation partielle car les conflits sont moins nombreux et freinent nettement moins le processus.
L’acceptabilité sociale est-elle dépassée ?
A l’heure actuelle, le concept d’acceptabilité sociale est très controversé. Qu’il s’agisse des porteurs de projets, de la société civile, des institutions bancaires ou des chercheurs, le concept divise. Ces deux dernières années m’ont données l’occasion d’entendre et de lire l’ensemble de ces positions scientifiques et profanes en France et à l’étranger. Ce billet de vulgarisation ne sera pas le lieu pour s’étendre sur les différentes acceptions de l’acceptabilité sociale et cela pour deux raisons. Tout d’abord parce que ces acceptions sont nombreuses et méritent d’être approfondies, mais aussi parce qu’elles seront l’objet d’une publication que j’entends mener sous peu.
Ce qu’il faut nécessairement comprendre dans la critique de l’acceptabilité sociale c’est l’intention de son utilisateur. Il faut donc être mesure de différencier l’acceptabilité sociale comme finalité et l’acceptabilité sociale comme processus. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de constater que cette division a dépassé les sciences sociales pour pénétrer des disciplines plus éloignées telles que l’ingénierie. De ce fait, des travaux majeurs comme ceux de Pierre Batellier[3] sont souvent cités par les ingénieurs comme une référence en termes d’acceptabilité sociale. Je le rejoins d’ailleurs pleinement dans le constat selon lequel l’acceptabilité sociale est un concept valise. C’est d’ailleurs pour cela que chercher une autre sémantique ne me semble pas être une priorité absolue, il convient d’abord d’apporter des repères aux porteurs de projets pour qu’ils puissent avoir davantage de visibilité et de recul sur leur travail.
Si vous découvrez le débat ou si vous êtes perplexe quant à la démarche à adopter, il est plus pertinent de vous focaliser sur la méthodologie que sur la sémantique pour la simple et bonne raison que cette dernière n’apportera pas de solution à vos projets.
Les 4 postures précédemment présentés s’inscrivent donc dans la logique de différenciation entre acceptabilité sociale comme finalité et acceptabilité sociale comme processus comme le démontre la schématisation ci-dessous.
Schéma : Acceptabilité sociale, quelles postures ?
Réalisé sur la base de résultats collectés entre 2018 et 2020 dans le cadre du projet ARTEMIS (Approche Régionale pour une Transition Energétique Mixte Industrielle et Sociétale)
Penser en termes de processus signifie donc s’interroger sur les moyens nécessaires pour générer du consensus. Cela équivaut à se placer dans une logique d’amélioration continue. Il est d’ailleurs très intéressant de constater que les porteurs de projets voyant l’acceptabilité sociale comme une finalité vont avoir une forte tendance à interpréter tout refus de déploiement d’un projet comme étant la faute de la technologie, de la pratique que porte ce projet ou des participants. A l’inverse les porteurs de projets percevant l’acceptabilité sociale comme un processus vont davantage se remettre en question en cas d’échec. La différence capitale entre ces deux logiques étant alors la capacité du porteur de projet à s’adapter. Voilà donc pourquoi l’amalgame entre processus participatifs et coût exorbitants est un non-sens colossal puisqu’un porteur de projet réfléchissant sous forme de finalité ne peut pas avoir de vision fiable sur la faisabilité de ses projets à court comme à long terme.
En conclusion
Les débats sur l’acceptabilité sociale sont toujours des terrains glissants. Le plus souvent et pour de nombreux participants à ces débats, il est nécessaire de se concentrer en priorité sur le terme : de remplacer l’acceptabilité sociale par un autre concept. Pour les néophytes, se laisser entrainer sur ce type de voie est un piège contreproductif car il n’apporte pas de solution et malgré les positions de chacun, peu nombreux sont les personnes pouvant réellement argumenter constructivement en faveur d’un concept ou d’un autre. A l’échelle individuelle, il est plus constructif d’identifier son propre positionnement pour trouver la méthodologie la plus adaptée à chaque projet.
Par Félix G.R. TURMEL
Consultant, Transition Environnementale et Participation Citoyenne
Chercheur en Sciences Politiques et Sociales, associé au Laboratoire DysoLab, Université de Rouen Normandie
[1] Lesquelles ont été approfondies depuis la publication de l’article.
[2] Cette méconnaissance peut provenir de plusieurs sources : des canaux de diffusions inadéquats, un manque d’information, une période de diffusion inappropriée, …
[3] En particulier : P. Batellier, 2015, "Acceptabilité sociale : Cartographie d'une notion et des usages", Cahier de recherches, Montréal, les publications du Centr'ERE, Unviersité du Québec à Montréal