Coupe du monde & médias sociaux : le duo gagnant
Publié par UNICAEN Normandie, le 24 juillet 2018 1.6k
Hors des stades, la Coupe du monde 2018 s’est aussi vécue sur les médias sociaux… un bouleversement par rapport aux précédentes éditions. Boris Helleu*, enseignant-chercheur au Centre d’étude sport & actions motrices · CESAMS (EA 4260) fait le point sur ces nouvelles modalités de « consommation du spectacle sportif ».
Les médias sociaux… l’autre terrain de jeu des supporters ?
La Coupe du monde a en effet largement mobilisé les adeptes des médias sociaux. D’une manière générale, il y a traditionnellement des événements sportifs dans le classement annuel des 10 événements les plus commentés sur Twitter. L’événement le plus commenté de l’histoire de Twitter est d’ailleurs la demi-finale Brésil-Allemagne lors de la Coupe du monde de football 2014 : 35,6 millions de tweets ont été échangés à cette occasion. Les « supporters 2.0 » utilisent les médias sociaux pour à la fois commenter les matchs et accéder à du contenu partagé par d’autres utilisateurs. Les médias sociaux sont aussi le lieu où vont s’exprimer les encouragements. Durant la compétition, les joueurs de l’équipe de France ont pu avoir accès aux messages de soutien de millions de Français - un soutien complémentaire, et non moins important, de celui qui s’exprime dans les stades.
Pourquoi un tel engouement des supporters pour les médias sociaux ?
La fonction essentielle du spectacle sportif est de générer des émotions - des émotions incertaines et imprévisibles, jusqu’au coup de sifflet final. Or l’émotion n’a de sens que si elle est partagée : quand on se déplace au stade, on le fait généralement en famille ou entre amis, et quand on regarde un match à la télévision, on invite généralement ses proches. Le 15 juillet, la finale a réuni 19,3 millions de téléspectateurs selon Médiamétrie : la télévision reste le moyen privilégié de vivre un spectacle sportif. Les médias sociaux gagnent en popularité parce que ce sont précisément des outils de partage d’émotions, avec une communauté plus large de personnes. Ce sont également des outils de l’instantanéité, ce qui fonctionne particulièrement bien avec le spectacle sportif, qui se vit dans l’instant présent.
Vivre la victoire des Bleus de l’intérieur… Une possibilité désormais offerte par les médias sociaux ?
Il y a 4 ans, Didier Deschamps imposait des règles strictes quant à l’utilisation des médias sociaux, perçus comme des motifs de distraction. On se méfiait également du bad buzz, ou encore de la divulgation des tactiques de jeu. Cette crainte a aujourd’hui disparu puisque les joueurs font partie d’une génération qui maîtrise ces outils. Les médias sociaux invitent à reconsidérer le métier de footballeur professionnel, dont la parole était jusqu’à présent largement dévaluée. Être footballeur professionnel implique de savoir communiquer sur ses propres médias sociaux : il convient de maîtriser la communication institutionnelle pour valoriser son club ou ses sponsors, et de maîtriser les ressorts d’une communication plus authentique, ciblant un très large public. Les joueurs de l’équipe de France ont, chaque jour, partagé les moments de vie collective sur leurs comptes personnels, en utilisant parfaitement les codes et les usages propres à chaque média. Les journalistes, d’ailleurs, scrutent les comptes des sportifs professionnels pour y déceler de précieuses informations sur le quotidien des Bleus ou pour réutiliser du contenu pour leurs reportages télévisés.
Les médias sociaux ont bouleversé l’accès à l’information.
Oui indéniablement. En 1998, il fallait regarder le documentaire « Les yeux dans les Bleus » pour être immergé dans les coulisses de la victoire de l’équipe de France. Aujourd’hui, c’est sur Snapchat et Instagram que les supporters vont chercher des photos et des vidéos proposées par les joueurs eux-mêmes. Leurs comptes personnels proposent une immersion au cœur de l’événement, que ce soit à l’hôtel, dans le bus, dans les vestiaires ou encore sur les Champs-Élysées. Ces médias offrent la possibilité de partager, en direct, et en immersion, la joie de la victoire.
Les médias sociaux ont également bouleversé l’expérience du public. La victoire de 2018 aurait-elle plus de saveur que la victoire de 1998 ?
L’édition 1998 avait une saveur toute particulière puisque la Coupe du monde se déroulait à domicile et qu’il s’agissait de la toute première victoire de l’équipe de France. Mais chacun pourra répondre à cette question selon son rapport à la compétition et, plus généralement, au football. La génération des moins de vingt ans n’avait jamais connu une équipe de France victorieuse et elle a eu la chance de vivre cette expérience en ayant accès à des contenus exceptionnels. Cette édition 2018 était particulière parce que l’effervescence a été relayée et partagée, en direct, sur les médias sociaux. On peut s’interroger sur l’expérience du supporter : où va-t-il puiser sa satisfaction, au-delà du résultat sportif ? Dans les stades, il y a une consommation hybride du spectacle sportif. La satisfaction du spectateur ne va pas seulement venir du match, mais aussi du partage de photos et de vidéos avec des proches qui ne sont pas dans le stade. On regarde le match le smartphone à la main : on suit une action, on fait une photo de temps en temps, on publie, on commente… Ce qui a profondément changé entre 1998 et 2018, c’est l’instantanéité de l’accès à l’information. Mais au fond, les émotions demeurent collectives, et c’est ce qui prouve que les médias sociaux ne sont pas un effet de mode. Ils sont un autre mode d’expression, une autre modalité du spectacle sportif.
*Boris Helleu est maître de conférences à l'UFR STAPS de l'université de Caen Normandie où il est responsable du master « Management du sport ». Chercheur au Centre d’étude sport & actions motrices · CESAMS (EA 4260), ses axes de recherche portent sur les stratégies digitales des grands événements sportifs, le marketing et l’économie du sport professionnel. Retrouvez Boris Helleu sur son blog Hell of a Sport.