Démocratie participative : Qui sont les publics ?
Publié par Félix G.R. Turmel, le 12 avril 2021 1.1k
Après avoir abordé les atouts et limites de l’acceptabilité sociale et de la participation, attardons-nous dans ce quatrième billet sur les participants eux-mêmes.
Si vous avez lu les trois premiers billets vous savez que le succès d’un événement ou d’une démarche participative dépend de peu de choses. Des années de frustrations ont conduit les participants à se méfier durablement des organisateurs portant cette ambition. La réflexion sous forme d’acceptabilité sociale, des messages contradictoires, des promesses de participation qui sont – le jour venu – de simples réunions d’informations en sont les principales causes.
Mais peut-on initier des démarches participatives sans s’intéresser aux participants ? : Qui sont-ils ? Pourquoi viennent-ils ? Peuvent-ils être « représentatifs » ?
Le choc des cultures !
Nous sommes ici face à deux cultures : celle du secteur public que l’on pourrait qualifier de « laisser venir » et celle du secteur privé dite des « bêta-testeurs ». Bien entendu il existe plus de nuances mais comme toujours focalisons nous sur les courants dominants[1]. A l’heure actuelle, de nombreuses structures de participation (Living Lab, Fab Lab, …) naissent hybrides, c’est-à-dire au croisement des secteurs publics et privés. Si l’intervention d’un tiers spécialisé permet leur autonomie, les attentes et logiques de fonctionnement des acteurs publics et privés sont différentes. Lors de la construction d’événements participatifs au sein de ces structures hybrides on s’interroge sur la constitution des groupes : Faut-il laisser venir les participants où les recruter ? Comme toujours la réponse dépend de l’objectif visé et du projet (potentiel) sur lequel devront se pencher nos participants. Si certains acteurs pensent que l’une de ces cultures est plus pertinente et légitime en soit, elles ont pourtant toutes deux leurs problématiques.
Lorsqu’on laisse venir les participants on s’expose à des limites bien connues des sciences politiques et sociales. La question du changement des usages attire majoritairement des femmes quand les thématiques techniques mobilisent davantage les hommes. Rien de surprenant, il suffit de regarder les répartitions de genres dans les disciplines scientifiques pour constater que les sciences humaines et sociales sont à dominante féminines tandis que les sciences dites « dures » sont à dominante masculine. A noter que dans un groupe travaillant sur la technique, les femmes ont tendance à s’effacer face aux hommes qui montrent une plus grande implication. Parmi nos participants, nous retrouverons également une majorité de plus de 50 ans et une autre de moins de 30 ans. La catégorie de l’entre-deux (les « parents ») est nettement moins présente, voir inexistante, pour des raisons diverses, notamment de disponibilité. En termes de niveau d’études on constatera que nos participants sont majoritairement diplômés du supérieur. De plus, la mise en place de ces nouvelles démarches participatives attire majoritairement des acteurs issus de mouvances associatives ou collectives de l’ESSE[2] longtemps frustrés par l’absence de participation[3]. Ceux-ci suivent la même logique de répartition que celle présentée précédemment.
Lorsque l’on constitue des groupes de participants, de nombreux décideurs publics et/ou privés pensent que l’échantillon est plus représentatif quand on sélectionne des individus en fonction de critères prédéfinis. En réalité, diversifier davantage l’échantillon n’assure pas sa représentativité puisque celui-ci ne se composera que d’une poignée d’individus.
Dans la majeure partie des cas, il est plus pertinent de laisser venir les participants lors d’événements ponctuels ou lorsqu’il s’agit d’imaginer et de prototyper des idées. Constituer un groupe devient cependant plus pertinent lorsque la thématique est un terrain miné sur lequel les individus s’affrontent depuis des décennies. Une fois de plus, le contexte l’emporte sur l’outil.
A la recherche de la « représentativité »
Les observations que j’ai pu réaliser en Living Lab au cours des dernières années m’amènent à penser que la logique de répartition structurant les groupes en « laisser venir » s’atténue à mesure que la participation s’installe dans un territoire, que les citoyens s’habituent à son usage, et surtout que la confiance entre citoyens et structures se construit[4]. Cette atténuation se caractérise notamment par l’élargissement des tranches d’âges et l’arrivée de primo-participants non-militants. Pourtant à l’heure actuelle, les 30 – 50 ans restent les grands absents de ces événements. Toujours dans une logique de « représentativité » on me demande régulièrement comment faire pour les amener à participer. Le fait de poser la question en ces termes montre à quel point le concept de représentativité a pénétré l’imaginaire décisionnel (qu’il soit public ou privé).
Nous vivons dans une société de chiffres et d’algorithmes. Ces derniers régissent nos vies et transcendent l’ensemble de nos disciplines scientifiques, techniques et artisanales. Dans ce contexte, les chiffres ont un pouvoir non négligeable sur notre perception du monde et impactent nos décisions. La « représentativité » se présente alors comme le gage ultime de sécurité à la prise de décision. Je ne compte désormais plus le nombre de fois où des acteurs politiques, économiques ou associatifs m’ont posé la question : « Oui, mais est-ce que c’est représentatif ? ». D’un point de vue purement méthodologique la représentativité absolue est une chimère. Certains sondages d’opinions réalisés à très grande échelle, lorsqu’ils sont bien construits, peuvent par exemple être relativement représentatif. Lorsque que l’on réalise des ateliers de co-construction dans le but de stimuler l’intelligence collective et de favoriser l’émergence d’une « horizontalité[5] » des idées, ce concept de « représentativité » (entendue comme absolue) n’est pas pertinent. Il faut alors s’intéresser aux outils et méthodologies mobilisés ainsi qu’au facteur temps.
Enjeux et perspectives
Maintenant que nous savons qui sont nos participants, rappelons les raisons de leur implication et interrogeons-nous sur la place des structures dans ces processus.
Comme nous l’avons vu plus tôt, la participation est liée à plusieurs facteurs : le temps disponible, le degré d’engagement, le besoin ou l’envie de rencontrer d’autres personnes, le degré de confiance dans la démarche, …. Il existe donc un grand nombre de facteurs mais l’ensemble s’inscrit dans une volonté plus générale de participer à la vie politique territoriale[6].
Est-ce le rôle des Living Lab, Fab Lab et initiatives du privé que de permettre cette participation ? Bien que ce ne soit pas nécessairement leur ambition première, ces structures doivent accepter qu’en l’absence d’une réponse satisfaisante des collectivités territoriales, un ensemble de citoyens voulant être partie prenante des grands enjeux de société se rabattent sur leur offre. Cependant, ce constat peut sembler dévalorisant pour les organisateurs car leurs initiatives sont perçues comme un plan B même si tout n’est qu’une question de perception. En effet, les acteurs et structures d’aujourd’hui seront les pionniers qui jouiront demain de l’expérience nécessaire à la mise en place de la participation au quotidien.
Pour ma part, je ne prends pas de risques à annoncer que la participation va devenir la norme en matière de portage de projets et de construction des politiques publiques et entrepreneuriales. L’expérience des pionniers et la capacité à expérimenter l’innovation en la matière feront de ces structures publiques, privées et hybrides, des références dans le domaine.
Conclusion
Les démarches participatives deviennent une nécessité pour l’évolution de nos sociétés. Elles sont non seulement nécessaires en tant que processus démocratique mais aussi comme processus économique. Bien que ces initiatives soient assez éloignées des modes de fonctionnement du secteur privé (puisque très différent du bêta-testing), ce dernier y trouvera avec le temps un intérêt non négligeable. Il profitera avant tout aux pionniers qui accorderont leur confiance aux méthodologies issues des sciences politiques et sociales. Avec le temps, des ajustements seront nécessaires pour améliorer le degré d’inclusivité des démarches participatives. L’idée selon laquelle la recherche de la perfection (en termes d’inclusivité) devrait figurer dans le cahier des charges est contreproductive. Il est évidemment nécessaire de donner aux structures les moyens d’apprendre de leurs expériences au contact des participants.
Par Félix G.R. TURMEL
Consultant, Transition Environnementale et Participation Citoyenne
Chercheur en Sciences Politiques et Sociales, associé au Laboratoire DysoLab, Université de Rouen Normandie
[1] A ce titre, les conventions citoyennes sont de parfaits contre-exemples.
[2] ESSE : Economie Sociale, Solidaire et Environnementale.
[3] Je vous invite à ce propos à visionner la vidéo mise-à-jour de ma contribution au colloque « Transition Energétique Bas Carbone » du 25 mars 2021. Dans cette vidéo je reviens plus en détails sur cette frustration et sur l’évolution de la demande de participation en France (chapitre : La face cachée de l’iceberg) : https://www.youtube.com/watch?v=b2FTKrI7m3g&ab_channel=F%C3%A9lixG.R.Turmel
[4] Ibid.
[5] A mi-chemin entre le top-down et le bottom-up.
[6] Une fois de plus je vous renvoie à ma vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=b2FTKrI7m3g&ab_channel=F%C3%A9lixG.R.Turmel qui aborde plus en détails l’ensemble.