Des situations apprenantes ouvertes à toutes et tous
Publié par Le labo CIBC, le 28 mars 2023 560
Le projet Activateur de potentiels expérimenté en Centre
Manche dans le cadre du Plan d’Investissement dans les Compétences 100%
inclusion a pour but d’élargir le champ des possibles des personnes en
insertion par le développement de leur pouvoir d’agir1. L’un des objectifs de cette démarche est de rendre visibles des compétences par l’utilisation de badges numériques.
Ce projet a l’ambition de s’appuyer sur un écosystème d’ores et
déjà existant d’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi et
d’y insuffler une pratique commune de reconnaissance des compétences.
Cela passe dans un premier temps par l’identification des activités
mettant en œuvre les compétences des personnes : elles seront appelées
« Situations apprenantes » dans le projet.
Ces situations apprenantes peuvent être de tous types :
stages/PMSMP, mission de bénévolat, jeux en ligne, action culturelle,
participation à la vie d’un quartier, etc. Leur point commun est de
solliciter des compétences jusqu’alors invisibles pourtant bien
mobilisées par les participant·e·s. Ces compétences ne sont rendues
visibles pour aucun·e acteur·rice du territoire. Ni pour les employeur·se·s
méconnaissant les compétences développées lors d’une activité bénévole.
Ni pour les personnes elles-mêmes qui ne voient pas dans leur quotidien
d’élément à valoriser dans leur parcours. Concernant les conseillères
et conseillers s’ils et elles permettent bien l’identification de certaines de
ces compétences, les supports et outils destinés à les valoriser restent
trop peu partagés à l’extérieur de leur structure.
Rendre visibles ces compétences et les valoriser passe par l’adoption d’un langage commun, c’est-à-dire des critères et process partagés. C'est l’hypothèse que nous émettons quant à l’appropriation de l’outil commun qu’est le badge numérique. Les situations apprenantes ne seront donc en aucun cas modifiées par rapport à ce qui existe sur le territoire mais seront caractérisées dans l’objectif de faire émerger les compétences développées dans ces situations. La caractérisation se traduit par la co-création des badges qui viendront reconnaître ces compétences. Les participant·e·s vivront la situation telle qu’elle existait auparavant et pourront, dès lors, faire reconnaître les compétences mobilisées en demandant leur badge.
Le principe de départ
Nous appuyant sur la Reconnaissance ouverte, promue par
l’association Reconnaître, l’accès aux badges a été pensé comme
nécessairement universel. Toute personne devait, d’après nous, pouvoir
vivre les situations apprenantes et demander des badges, en fonction des
compétences mobilisées et des expériences vécues.
Au contraire de l'usage le plus couramment rencontré de badges qui
ne s’obtiennent que par des publics ciblés, ayant vécu des expériences
qui leur sont réservées, le projet a misé sur des badges accessibles à
toutes et tous. Cela impliquait donc de rendre les opportunités
accessibles à toute personne indépendamment de sa situation. Il nous
apparaissait donc nécessaire d’éviter tout élément de sélection à
l’entrée dans une situation apprenante (sauf cas exceptionnels liés à
l’activité en question pour raison réglementaire).
Ce
principe est induit par la visée inclusive du financement de
l’expérimentation : l’objectif est davantage de constituer un
environnement propice à la mise en action des participant·e·s que de
viser directement l’entrée dans un emploi. Cela s’inscrit dans un
changement de paradigme des politiques sociales françaises soit un
mouvement long et subtil. Il convient de le préciser puisque Marcel
Jaeger notait que « Pour [les
travailleur·se·s sociaux·les], « insertion », « intégration », « inclusion »
sont des mots souvent considérés comme identiques, et l’inclusion évoque
davantage une finalité plutôt qu’un processus. »2. Aussi, un écart est-il à prévoir d’emblée entre la philosophie du projet et la réalité des pratiques de terrain.
De l’idée à la réalisation
Dans les faits, de quelles activités parle-t-on ? Sur Saint-Lô,
les Situations apprenantes pionnières ont été principalement des
associations comme la Banque alimentaire ou la scène de musiques
actuelles « Le Normandy ». Des groupements d’employeurs se sont
également manifestés dès le départ à l’instar du GEIQ multisectoriel
Orne-Manche.
Mais combien d’activités ouvertes à
l’ensemble de la population pour lesquelles aucune souscription
financière n’est demandée existe-t-il sur un territoire ? Comment les
repérer ? Il s’est rapidement avéré qu’une grande partie des activités
gratuites étaient des actions sociales et, de ce fait, sectorisées. Les
ateliers de la Mission Locale ne sont ouverts qu’aux jeunes, ceux du
Conseil Départemental qu’aux personnes bénéficiaires du RSA, etc…
Il s’agissait donc de trancher : privons-nous le projet de ces situations de reconnaissance parce qu’elles ne sont pas ouvertes à l’ensemble du public ?
Moins d’ouverture, plus d’ouverture
Il est finalement apparu nécessaire d’envisager les activités
sectorisées comme des situations apprenantes. Toutefois, alors qu’on
acceptait de proposer des badges que toutes et tous ne pourront obtenir,
il fallait raccrocher le principe essentiel d’ouverture par un moyen ou
un autre.
Plutôt que de permettre que chaque situation et donc que chaque
badge soient ouvert à toutes et tous, nous allions garantir que tous les
publics puissent accéder à la reconnaissance d’une même compétence avec
la proposition de situations apprenantes alternatives.
Un nouveau principe d’action émerge alors : pour chaque situation
« réservée » à une catégorie de la population, nous rapprocherons
systématiquement au moins une situation permettant la reconnaissance
d’une même compétence bien que mobilisée au sein d’un contexte
différent.
Comment rapprocher deux reconnaissances distinctes ?
Le défi n’est pas mince puisqu’il implique de comparer des badges
obtenus par des personnes différentes dans des situations différentes.
Dès lors, l’instance des comités mensuels de la reconnaissance qui
réunit l’ensemble des acteurs et actrices du projet paraît être
l’occasion d’avoir ces débats comparatifs. Cela permet, dans le même
temps, de mobiliser dans un but opérationnel les acteurs et actrices du
territoire investi·e·s dans le projet.
Ces derniers décideront de rapprocher des badges et donc d’aligner
leur valeur en fonction de leurs critères, de leur méthode de
validation ainsi que de leur utilité en termes d’opportunités pour les
porteur·se·s et leurs interlocuteur·rice·s.
Conclusion
Préciser un des principes fondateurs du projet a permis d’étendre
le principe de reconnaissance ouverte aux actions sectorielles qui sont
justement pensées pour développer le pouvoir d’agir des personnes. Des
participant·e·s à ces actions seront peut-être également reconnues grâce
à cette ouverture alors qu’elles ne seraient pas entrées dans le projet
dans sa version initiale. Alors que ce changement aurait pu être perçu
comme un désaveu du principe d’ouverture universelle, il permet au
contraire de toucher plus de publics et plus d’activités tout en
maintenant l’ouverture à toutes et à tous du projet et de la reconnaissance.
Dans une conception de l’action sociale qui s’adresse à tous indépendamment des catégories administratives, l’écosystème pourrait voir ses situations apprenantes s’ouvrir à toutes et tous. Il faut toutefois relativiser la temporalité avec laquelle cela pourrait se produire en s’appuyant sur l’étude de Patrick Dubéchot concernant la résistance des professionnel·le·s du social à l’adoption de la philosophie de l’inclusion3. Pour autant, le développement de la Reconnaissance ouverte n’est-il pas susceptible d’accompagner ce changement de paradigme ?