Elections présidentielles : un autre mode de scrutin est-il possible ?

Publié par UNICAEN Normandie, le 10 février 2017   1.7k

Le mode de scrutin qui s’impose aux électeurs influe sur leur comportement dans l’isoloir − entre vote d’adhésion, utile ou même stratégique. Ce constat est mis en évidence par des chercheurs du Centre de recherche en économie et management (CREM) qui, dans le cadre du projet ANR "CoCoRICo-CoDec", travaillent sur l’analyse des méthodes de décision collective. 

Le développement des applications de décision en ligne tels que "doodle", "like" ou "évaluations" et des algorithmes de traitement des données offrent aujourd’hui de nouvelles perspectives en faveur de modes de scrutin alternatifs. Isabelle Lebon et Vincent Merlin, chercheurs au Centre de recherche en économie et management (CREM), expliquent les enjeux de l’expérience de vote qui a été menée lors des élections présidentielles de 2017. 

Un mode de scrutin qui reflèterait fidèlement les préférences et les convictions du corps électoral… Réalité ou utopie ?

Aucune règle de décision collective n’est optimale et parfaite, qu’ils s’agissent de scrutins uninominal, plurinominal, de liste, proportionnel, mixte, direct ou indirect, à un ou deux tours. Toutes ces possibilités sont aussi légitimes les unes que les autres, la "démocratie" n’imposant pas un seul mode d’expression particulier. Mais les qualités et les défauts de ces différents modes de scrutin influent d’une manière ou d’une autre sur la représentation des partis, sur l’alternance, sur les alliances politiques… et sur les stratégies des électeurs dans l’isoloir. 

Est-ce que je vais voter pour le candidat que je préfère même s’il n’a aucune chance d’être au second tour ? Est-ce que je vais voter plus stratégiquement pour un candidat qui a des chances d’aller au second tour même si je l’aime un peu moins que d’autres ? Le scrutin uninominal à deux tours appliqué en France va contraindre l’expression des électeurs, nécessairement confrontés à ce type de questionnements. Mais selon le théorème énoncé par le philosophe Allan Gibbard et l’économiste Mark Satterthwaite au début des années 1970, il n’existe qu’un seul mode de scrutin non-manipulable par des électeurs stratèges… C’est celui de la dictature !

Aujourd’hui, les algorithmes de traitement des données permettent d’examiner de grandes masses d’information. Les moyens numériques à notre portée offrent la possibilité d’imaginer d’autres modes d’expression ne se limitant plus seulement au dépôt d’un bulletin portant un seul nom dans une urne. L’État du Maine aux États-Unis a récemment opté pour un classement des candidats déclarés, mode de scrutin qui est d’ailleurs utilisé en Australie et en Irlande depuis près d’un siècle. 

De fait, des modes de scrutin difficiles à mettre en place il y a quelques années semblent désormais envisageables. Mais se pose la question de leur appropriation par les électeurs. C’est le sens de l’expérimentation que nous allons mener lors des prochaines élections présidentielles. 

Comment s’est déroulée cette expérience de vote ? 

L’expérimentation, qui s’inscrit dans le cadre d’un projet ANR, réunit des chercheurs en informatique et en sciences économiques des universités de Caen Normandie, Grenoble-Alpes, Paris-Dauphine, Pierre et Marie Curie (Paris 6), Saint-Étienne et Strasbourg

Parmi les expériences menées le 23 avril 2017, nous avons testé, dans les mêmes conditions que le scrutin officiel, deux modes de scrutin dans deux bureaux de vote d’Hérouville-Saint-Clair (Calvados), avec l’accord de la municipalité. Le vote par approbation, d’une part, permet aux électeurs de plébisciter autant de candidats qu’ils le souhaitent : le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de soutiens serait élu. Le vote par note, d’autre part, consiste à attribuer une note à chaque candidat, sur des échelles de 0 à 3 ou de 0 à 5 : le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de points serait élu. Ces deux modes de scrutin ont été privilégiés car ils permettent aux électeurs de s’exprimer, de manière plus ou moins nuancée, sur l’ensemble des candidats. La participation des électeurs, anonyme et sur la base du volontariat, a été sollicitée à la sortie des bureaux de vote officiels. Nous avons besoin de connaître le vote qu’ils ont exprimé dans le cadre du scrutin officiel afin de corriger les biais de participation et de représentation. Des questionnaires ont également été proposés afin d’affiner nos analyses. 

Des expérimentations similaires ont été menées dans les mêmes conditions dans des bureaux de vote de Strasbourg et de Grenoble et sa banlieue. Et le site "Voter autrement" a permis à tous les électeurs, quel que soit leur localisation en France, de participer aussi à ces expériences.

Quels sont les objectifs de cette expérimentation ?

Nous avons déjà effectué des expériences de vote lors des élections présidentielles de 2007 et de 2012. Nous disposons donc déjà de protocoles de recherche validés. Cette nouvelle expérimentation nous permettra de compléter nos données. Les citoyens seraient-ils plus enclins à aller voter ? Comment les électeurs vont-ils s’exprimer ? Ces modes de scrutin sont-ils fortement ou faiblement manipulables ? Quel(s) choix stratégique(s) les électeurs vont-ils opérer ? La procédure de comptage est-elle trop complexe ? Si oui, peut-on imaginer un algorithme adapté ? 

Cette expérimentation nous permettra également d’approfondir l’analyse des résultats au moyen de nouveaux outils. Nous avons en effet également mené des expériences de vote sur le terrain à Caen et à Ouistreham. Elles se sont tenues dans un premier temps avant les élections, puis ensuite entre les deux tours afin de déterminer si, au vu des résultats, les électeurs sont pleinement satisfaits du choix qu’ils ont effectué dans l’isoloir. Cette expérimentation vise ainsi à nourrir la réflexion sur les modes de scrutin en analysant les propriétés de modes d’expression alternatifs ainsi que le comportement des électeurs face à de nouvelles règles de vote. 


CréditsJoel Larsson (FlickR, Licence CC).