(En)quête de Nature
Publié par Presqu'en Fabrique, le 9 décembre 2022 970
La construction de ce jeu a consisté tout d’abord en la réalisation d’un nuage de mots, dont le but était de s’accorder sur les émotions que le futur jeu devrait faire ressentir aux joueurs, afin de pouvoir tisser progressivement un scénario et une trame narrative.
Les émotions qui ont été retenues ont été la curiosité, avec la volonté de créer la surprise et l’intérêt du joueur, l’acceptation, c’est-à-dire le consentement à la collaboration, au travail en équipe, à la découverte, au changement d’environnement et de façon plus générale à l’immersion au coeur du jeu. Le dépassement de ses limites, entendu comme le fait de sortir de sa zone de confort, la peur, ou encore la joie ressentie suite à la stimulation ludique et à la satisfaction ont également été évoquées lors des discussions préliminaires. Enfin, la spontanéité, l’enrichissement intellectuel (amené par la concentration, la remise en cause des représentations et l’apport de connaissances) ou encore l’excitation de l’action, du mouvement et de l’implication physique ont été mises en avant lors de cette étape cruciale de la réflexion.
Suite à cela, un brainstorming a été réalisé avec l’ensemble de l’équipe, dont l’objectif était de déterminer la mécanique du jeu, sa technologie, son histoire, ainsi que son esthétique.
Il a été également décidé à l’unanimité de mettre au point un jeu le plus inclusif possible, en prévoyant notamment des versions en plusieurs langues, et des parties plus graphiques que textuelles afin d’inclure les enfants. À cette étape de la réflexion, une interrogation a été émise sur la « valeur temps » à introduire dans notre jeu, à savoir quelle place accorder à la durée du jeu et au chronométrage des joueurs, ainsi que sur les divers niveaux de jeux à créer pour pouvoir satisfaire des types de joueurs différents.
En effet, selon la typologie des joueurs mise au point par Richard Bartle en 1996, 4 personnalités de joueurs se distingueraient dans une expérience de jeu : les Socialisateurs, les Accomplisseurs, les Tueurs, et enfin les Explorateurs. Pendant qu’il joue, un individu peut combiner plusieurs de ces profils, mais toutefois, l’un des 4 types semble toujours dominer. Ainsi, il paraissait important lors de la conception du jeu de prévoir différents niveaux permettant de satisfaire des joueurs plus ou moins compétiteurs.
Concernant l’histoire du jeu, sa partie narrative, il nous est apparu important de créer une fiction permettant au joueur de se plonger dans le territoire du jeu, ici la Presqu’Île de Caen. Notre but était en effet de lui faire découvrir cette partie méconnue et sensiblement désavouée de la ville, afin de renforcer sa compréhension du territoire et de ses enjeux. Notre jeu devait ainsi s’inscrire dans la réalité, grâce à une technologie « grandeur nature », dans laquelle les joueurs auraient pu se déplacer dans la Presqu’île, explorer, et vivre une aventure relativement inédite tout en créant du lien.
Pour justifier notre démarche créatrice, nous nous appuyions sur la théorie de Johan Huizinga développée dans Homo Ludens : essai sur la fonction sociale du jeu, dans lequel l’historien souligne le rôle de la fiction dans l’amélioration de notre empathie envers autrui et notre compréhension du monde qui nous entoure, ainsi que le rôle du scénariste qui permet de donner du sens au chaos de la réalité, « trop complexe dans son entièreté ». Par le biais de la fiction, le scénariste délivre ainsi des connaissances au public, de manière « subtile et impactante », sans avoir recours à une argumentation directe et rationnelle, mais plutôt en « tissant une argumentation indirecte, diffuse », qui n’en a que plus d’impact. Ainsi, nous souhaitions amener le joueur à s’interroger sur la nature de la Presqu’île, sur ses enjeux et ses possibilités d’évolution, tout en alertant quant aux problématiques qui touchent le territoire et ses habitants - pauvreté, misère, mal-logement, gentrification galopante. Cette alerte aurait été opérée par le biais de notre jeu de découverte du territoire, qui aurait pris la forme d’une course d’orientation ou bien d’un jeu de piste.
Toutefois, après une concertation visant à établir le diagnostic de la Presqu’île et plusieurs visites de terrain, nous nous sommes heurtés à la réalité du territoire, dont nous n’avions jusqu’ici que peu conscience. La démarche visant à proposer un jeu « ludique » de « découverte » à deux pas d’une misère sociale incontestable et d’inégalités criantes nous est ainsi apparue comme déplacée.
Nous avons donc pris la décision de reconsidérer notre angle d’approche de la Presqu’île et de ses enjeux. Nous souhaitions continuer à nous concentrer sur les thématiques des inégalités et de l’aménagement urbain du territoire, mais ressentions une forme de malaise et d’illégitimité à traiter ce sujet sous le prisme des inégalités sociales et de la misère. Pour mener à bien nos aspirations, et susciter malgré tout une sensibilisation aux problématiques du territoire, nous avons reconsidéré le périmètre choisi, la mécanique du jeu ainsi que son histoire. Nous avons ainsi mis à l’épreuve notre flexibilité et notre adaptabilité, en essayant néanmoins de réorienter et réutiliser certaines de nos démarches initiales.
Après plusieurs discussions et concertations, nous avons pris la décision de maintenir le principe d’un jeu « grandeur nature », mais en situant désormais la zone de jeu à la pointe de la Presqu’île, plus aménagée, et la thématique principale à la découverte de la biodiversité du territoire. Ce changement de thématique avait l’avantage de nous permettre de continuer à nous positionner dans un jeu éducatif de découverte, tout en alertant également le joueur sur un enjeu important : celui de la sensibilisation à la biodiversité, au monde qui nous entoure, à l’environnement, et à l’artificialisation du territoire.
La thématique retenue a ainsi été celle de la « biodiversité VS artificialisation », et l’expérience décidée a été formulée comme suit : « explorer, composer, accomplir ». Enfin, le titre du jeu a été choisi « (En)quête de nature », pour indiquer de façon claire aux joueurs le sujet principal de l’histoire.
Le scénario retenu a ainsi été pensé pour permettre à tout type de public de l’assimiler et le comprendre, et en particulier les enfants. Ainsi, dans le jeu « (En)quête de nature », situé sur la Point de la Presqu’île de Caen, un scientifique ayant recensé la faune et la flore présentes sur le territoire se trouve en prise avec un bétonneur (figure dépersonnalisée de l’artificialisation). L’objectif de ce dernier est de collecter un maximum d’informations sur les espèces présentes sur la Presqu’île pour pouvoir mener son projet à bien : bétonner le territoire et les espaces naturels pour pouvoir construire de nouveaux logements, au détriment de la biodiversité. Pour ce faire, le bétonneur a volé les documents du scientifique, à l’origine constituées en un cylindre de connaissances, mais a par erreur fait tomber les différentes faces du cylindre, qui se sont éparpillées sur la Pointe de la Presqu’île.
Toutefois, le scientifique compte bien lutter contre les noirs desseins du bétonneur, et fait appel à ses amis oiseaux et poissons « La Bande Organisée de la Nature », pour l’aider à retrouver ses précieux documents disséminés un peu partout.
Pour ce faire, les joueurs sont guidés par un maître du jeu, qui leur indique des énigmes et des indices afin que les joueurs puissent se déplacer sur le territoire, assembler les indices et reconstituer le cylindre. Cette recherche leur permet à la fois de recueillir des connaissances sur le territoire et sa richesse environnementale et de reconstituer le cylindre du scientifique.
À la fin de l’aventure, les joueurs doivent avoir rencontré chacune des pancartes du terrain et réuni les 6 facettes du cylindre, pour pouvoir ensuite terminer leur expérience au Dôme.
Le jeu (En)quête de Nature permet ainsi de créer du lien social, de favoriser la mobilité, d'attiser la curiosité et l’intérêt pour le territoire, et de faire prendre connaissance au public des enjeux environnementaux relatifs à la biodiversité de la Pointe de la Presqu’île de Caen. Il a aussi pour but de sensibiliser aux problématiques d’artificialisation, et de nécessité de protection des espaces naturels et de la biodiversité qui en est tributaire.