Eye sea, un an après

Publié par Guillaume Dupuy, le 11 mai 2017   2k

Le 25 avril 2016, le Groupe “Mémoire et plasticité comportementale” recevait le 7ème Prix Musée Schlumberger pour son projet “Eye sea”. Un an après, où en sommes-nous ?

Plonger sous la mer et voir avec les yeux d’une seiche ? C’est avec ce projet inédit que Anne-Sophie Darmaillacq et Cécile Bellanger, Maîtres de conférences au sein de l’équipe “Ethologie animale et humaine” (EthoS, ex-GMPc), ont séduit le jury du concours “Têtes chercheuses” 2016. Un an plus tard, nous les retrouvons en compagnie de Marie-Pierre Besnard et Rémi Bréhier, Co-fondatrice et développeur de mondes virtuels de So Numérique, pour leur poser cette question : où en sommes-nous ?

UN PROJET, DEUX PARTENAIRES

C’est en mars 2016, à l’occasion du premier workshop “Têtes chercheuses” que les deux équipes se sont rencontrées. “Suite aux présentations introductives des équipes candidates, je me suis orienté vers le groupe de travail du GMPc. Je savais que l’on avait quelque chose à y apporter” indique Rémi Bréhier. “C’est là que l’on a commencé à discuter du projet, des méthodes que l’on pouvait utiliser.”

Les échanges entre So Numérique et les deux chercheuses se sont poursuivis pendant toute la période de rédaction du dossier de candidature, un élément-clé pour Anne-Sophie Darmaillacq : “Nous voulions réaliser un monde virtuel mais sans trop savoir ce que cela impliquait. L’expertise de Marie-Pierre et Rémi a été essentielle pour nous aider à mieux définir le champ des possibles, aussi bien en terme de technique que de temps et d’argent.” So Numérique est ainsi devenu co-producteur du projet “Eye sea”.

DE L’IDÉE AU MODÈLE VIRTUEL

Première étape du projet : réaliser le modèle virtuel. Pour cela, Rémi a enrichi un environnement marin déjà réalisé dans le cadre du dossier de classement des Plages du Débarquement au Patrimoine mondial de l’UNESCO. “Il n’existe pas un objet par projet. On crée des milieux qui peuvent être recomposés” explique Marie-Pierre Besnard. “Ainsi, si l’on souhaite passer de la Manche à la Méditerranée, on modifie les espèces de poissons mais l’intelligence artificielle qui anime le banc de poisson virtuel, elle, reste la même.”

Un gain de temps qui a permis aux équipes de se consacrer à d’autres challenges. Il leur a ainsi fallu prendre en compte les contraintes techniques du matériel (les casques de réalité virtuelle ne permettent, par exemple, de voir qu’à 120° là où la seiche voit à 320°) mais aussi les capacités physiques de l’usager et notamment sa vision. “Il s’agit de trouver le juste équilibre entre ce que l’on souhaite et ce qui est faisable pour que l’utilisateur vive une expérience unique et que le message passe” résume la co-fondatrice de So Numérique.

Une centaine de jours de développement et de nombreux aller-retour entre les chercheurs et les spécialistes de la réalité virtuelle ont ainsi été nécessaires pour créer l’environnement, modéliser les animaux et définir les différentes interactions du modèle “Eye sea” selon les données scientifiques mis à disposition par l’équipe EthoS.

AVANCER AVEC LES PUBLICS

Les publics ont été invités à contribuer au projet “Eye sea”. Tout d’abord en mars, lors du workshop de définition des projets candidats, puis en octobre, à l’occasion de la Fête de la Science. “Nous avons organisé une journée d’ateliers au Dôme avec des lycéens” détaille Anne-Sophie Darmaillacq. “L’objectif était de les faire participer à l’écriture du scénario du jeu.”

De nombreuses idées sont sorties de cette journée de créativité. Certaines ont pu être intégrées à l’histoire du jeu comme l’explique Marie-Pierre Besnard : “Il y a eu de bonnes idées. Certaines étaient trop ambitieuses pour le projet, d’autres ne correspondaient pas à la réalité des données scientifiques mais la trame respecte tous les points soulevés par les jeunes comme nous nous y étions engagés.”

En janvier 2017, So Numérique a lancé la phase de mise en test au CES Las Vegas [plus important salon international dédié aux nouvelles technologies, ndlr]. Elle s’est poursuivie en mars à la Cité des sciences et de l’industrie à l’occasion de la Semaine du cerveau puis au Dôme pour la semaine des “Têtes chercheuses”. Professionnels du numérique, chercheurs, lycéens, … Plusieurs centaines de personnes ont ainsi pu tester “Eye sea” et apporter de précieux retours pour affiner le modèle numérique, le scénario et le mode de médiation.

ET DEMAIN ?

À la question de savoir quand “Eye sea” sera terminé, les quatres partenaires sont unanimes : “Jamais !”. “Le projet que nous avons présenté au jury du Prix Musée Schlumberger est réalisé et fonctionnel” précise Cécile Bellanger, complétée par Marie-Pierre Besnard : “On veut créer un environnement complet, on avance en fonction des connaissances scientifiques et des technologies disponibles.”

Le projet sera donc amené à évoluer régulièrement dans les mois et les années à venir au rythme des opportunités, comme ce hackathon qui s’est déroulé au début de l’année à l’Université de Washington (voir ci-dessous).

Les partenaires envisagent ainsi de diffuser “Eye sea” dans la communauté scientifique : “Nous pensons solliciter d’autres équipes de recherche pour avancer sur des points dont nous ne sommes pas spécialistes, comme la vision des seiches par exemple” confie Anne-Sophie Darmaillacq. “Le modèle pourrait également, pourquoi pas, accueillir les données d’autres équipes sur d’autres animaux et d’autres éléments de l’environnement comme nous l’avons fait avec le Mémorial Caen-Normandie pour les objets historiques" enchérit Marie-Pierre Besnard.

Côté diffusion publique, les deux chercheuses restent prudentes : “Eye sea sera présent pour les grands rendez-vous régionaux de culture scientifique, comme EcolySciences ou la Fête de la Science, mais notre temps est malheureusement limité. Nous cherchons donc des solutions et des partenaires pour que le projet soit mis à disposition des publics.” Le jeu va ainsi être prochainement présenté à des enseignants de l’académie de Caen pour voir comment ils pourraient l’utiliser dans leurs cours. Un partenariat avec des centres culturels, comme La Cité de la Mer, est également envisagé avec une condition : “Nous ne voulons pas qu’Eye Sea soit juste proposé comme un divertissement pour les publics. Nous avons un message à faire passer et nous resterons vigilantes pour que ce soit bien le cas” conclut Cécile Bellanger.

En attendant, l’équipe de recherche de l’Université de Caen Normandie et So Numérique vont finaliser les derniers développements en cours. Le projet “Eye sea” sera présenté à la Fête de la Science en octobre prochain.



UN DÉTOUR PAR WASHINGTON

Au début de l’année, l’environnement marin virtuel développé par So Numérique a été utilisé lors d’un hackathon organisé à l’Université de Washington. “Une océanographe est venu tester le jeu à Las Vegas en janvier. Elle en a aussitôt parlé dans son réseau et, quelques jours plus tard, on nous proposait d’utiliser le modèle numérique pour un marathon créatif.”

Si le résultat de ce hackathon, un modèle en réalité augmentée, ne devrait pas être directement implémenté dans “Eye sea”, il n’en reste pas moins que cette expérience est très encourageante pour le travail réalisé. “Lorsque l’on sait que Seattle est le berceau de la réalité virtuelle et que l’on voit la liste prestigieuse des partenaires de cet évènement, c’est très valorisant de voir qu’ils remarquent le travail d’une petite équipe comme la nôtre” s’enthousiasme Marie-Pierre Besnard.



Crédits : So Numérique.