FFTBox : Sons et lumières
Publié par Guillaume Dupuy, le 20 octobre 2014 1.7k
Au départ, il y a une rencontre orchestrée par le Cargö. Celle de Théo, alias Fakear, et Thibault, membre du bigband “Bibendum”. Il y a ensuite une idée. En rendre visible les différentes dimensions au public grâce aux ressources du FabLab. Puis 2 hommes. Sylvain Garnavault, Jongleur de la Compagnie Parabole, et Jean-Marc Routoure, Enseignant-chercheur au GREYC. Et au final, un projet. La FFTBox.
Bonjour. Sylvain, Jean-Marc, comment êtes-vous arrivés dans ce projet ?
Sylvain : Relais d’sciences et Le Cargö font partie de mon réseau de partenaires. Ils suivent mes projets et savent que je réfléchis beaucoup à l’apport des nouvelles technologies dans le domaine du spectacle. Je pense qu’il y a simplement eu une association d’idées : spectacle, électronique, bidouillage, … Sylvain !
Jean-Marc : Pour moi, c’est un peu pareil. Le projet imaginé par Matthieu [Matthieu Debar, FabManager et Responsable du développement culturel à Relais d’sciences, ndlr] et Damien [Damien Maurice, Responsable de l’accompagnement et de l’action culturelle au Cargö, ndlr] nécessitait un travail avec des capteurs. Qui dit capteurs, dit “Captil”. Qui dit “Captil‘, dit… moi !
Sylvain : Matthieu et Damien ont également fait appel aux compétences de François-Xavier Coepen, l’ingénieur lumières du Cargö.
Quelle était la commande de départ ?
Jean-Marc : La commande était assez “simple”, il fallait transformer du son en lumière. J’ai commencé par y réfléchir tout seul et je suis parti sur une version très “joufflue”. Après discussion avec Sylvain, nous sommes revenus sur une solution technique plus simple et autonome.
Sylvain : Il y avait déjà un joufflu dans le projet. Pas la peine d’en rajouter !
Jean-Marc : On a développé le cahier des charges et on a réalisé les premiers prototypes. Au final, on a eu un système fonctionnel très rapidement. Ce sont les ajustements qui nous ont pris beaucoup de temps.
Comment avez-vous abordé le projet ?
Sylvain : Au début, l’objectif était de s’assurer de la faisabilité technique et de la pertinence artistique du projet.
La pertinence artistique ?
Sylvain : Oui. Notre travail va être intégré dans un spectacle. Le but n’est donc pas d’avoir un dispositif qui fonctionne mais un dispositif qui ait un sens par rapport à l’intention que les musiciens veulent développer sur scène.
Quel est ce propos justement ?
Sylvain : Le spectacle “Maïsha : Fakear vs. Bibendum” va parler de la création du monde. Une sorte de parcours initiatique et métaphysique. En faisant leurs recherches, Théo et Thibault se sont intéressés aux pratiques chamaniques et ont découvert la synesthésie, cette capacité du cerveau à associer plusieurs sens, à “voir” la musique en couleurs. Ils ont voulu donner cette capacité à leur public le temps d’un concert. A nous de faire en sorte que cela fonctionne !
Jean-Marc : C’est vrai que nous avons eu jusqu’à maintenant une approche très technique. On sait que le dispositif fonctionne et répond au cahier des charges. Maintenant, j’ai hâte de voir ce que cela va donner dans les conditions du spectacle.
Sylvain : Il nous reste des questions mais nous avons pensé un système très modulaire capable de s’adapter à beaucoup de demandes. J’ai confiance.
Alors, ce dispositif, vous l’avez baptisé la FFTBox. De quoi s’agit-il exactement ?
Sylvain : La FFTBox est composée de différents éléments qui lui permettent de capter un son et de le transformer en signal lumineux. Elle créé une réalité sonore augmentée, un pont entre l’univers analogique de “Bibendum” et celui numérique de Fakear.
Jean-Marc : Nous n’avons pas eu à tout inventer. Nous avons utilisé un système qui existait déjà. Notre travail a essentiellement consisté à concevoir un circuit imprimé et 2 logiciels. L’un côté ordinateur (réception et transmission du signal) et l’autre côté Arduino (qualification des envois).
Sylvain : La FFTBox comprend 4 éléments principaux. Il y a tout d’abord un capteur “piezo” qui capte la vibration de l’instrument à vent et la transforme en un signal électrique. Ce signal est transmis à un couple carte son/microcontrôleur qui le code avant son envoi vers un un ordinateur par Wi-Fi grâce à un routeur.
OK. On voit bien comment un son se transforme en signal numérique mais comment se fait le lien avec la lumière ?
Sylvain : Ca, ça a été le travail de François-Xavier, l’ingénieur lumières. Grâce à la FFTBox, chaque musicien lui envoie 2 informations : la fréquence et le volume sonore de son instrument. Il a donc conçu une conduite lumière qui lui permet de lier ces données à des couleurs, des mouvements du projecteur, des changements de focus ou de faisceaux. Il est ainsi possible de composer une séquence lumière pour chaque morceau avec toujours le même objectif, créer une ambiance qui colle à l’intention des musiciens.
Justement, comment s’est organisé le travail avec les autres membres du projet ?
Sylvain : Nous avons eu pas mal d’échanges avec François-Xavier. Nous avons réfléchi à ce qu’il voulait faire, de quelles données il avait besoin, comment les lui transmettre.
Et avec les musiciens ?
Sylvain : Nous avons volontairement limité les contacts avec Théo et Thibault pour que la technique ne prenne pas le pas sur la création artistique.
Jean-Marc : Il faut garder à l’esprit que les gens vont venir voir un concert avant tout. La FFTBox doit simplement créer une émotion en plus.
Sylvain : Chacun a travaillé de son côté. Ils ont écrit leur partition en prenant en compte les possibilités offertes par le dispositif. Nous avons créé un système modulaire et évolutif. Pour travailler, les artistes ont besoin de laisser aller leur imaginaire. C’est une donnée à prendre en compte dans notre travail. Le pire au final serait de constater que leur imaginaire est parti très loin et que notre technique n’a pas su voir plus loin que le bout de son cahier des charges !
Ce travail “à distance” a-t-il posé des problèmes ?
Sylvain : Il y en a eu assez peu à part quelques tensions liées aux différences de temporalités entre les groupes. A un moment donné, nous avons eu une grosse demande vis-à-vis des musiciens mais ce n’était pas le bon moment pour eux. Le groupe n’était pas réuni, les musiques n’étaient pas écrites, …
Jean-Marc : Oui. Il a fallu faire avec les possibilités de chacun. Il y a des petites choses toutes bêtes qui doivent être prises en compte, comme le fait que les musiciens répètent les soirs et les week-ends alors que moi j’enseigne chaque jour de la semaine. Il faut trouver le bon équilibre et le bon tempo.
Ton profil de technicien et d’artiste a-t-il aidé à dépasser ces difficultés Sylvain ?
Sylvain : Le fait que j’ai déjà travaillé avec des technologies dans le domaine du spectacle a été un plus. Cela a influencé le projet et lui a permis, je pense, de se dérouler plutôt bien jusqu’ici. J’ai appris à identifier les moments où il faut laisser couler et ceux où il est bon d’insister. Être capable de réagir, de s’adapter.
Et entre vous deux, comment les choses se sont-elles déroulées ?
Jean-Marc : Nous ne nous connaissions pas mais le courant est rapidement passé. Devant l’urgence du projet, nous avons choisi de nous répartir le travail. Je me suis principalement occupé de la captation et de traitement du signal.
Sylvain : Moi, je me suis occupé de la communication sans fil et de la gestion du langage DMX512 [Protocole de contrôle de l’éclairage dynamique d’évènements, ndlr].
Cette répartition des tâches a-t-elle laissé la place à de l’échange de compétences ?
Sylvain : Oui, sur quelques aspects. Pour ma part, j’ai découvert le système FFT [Algorithme d’analyse de spectres de données, ndlr].
Jean-Marc : Et moi, la programmation Arduino.
Sylvain : Jean-Marc m’a aussi appris à lire les notices des matériels techniques sans me prendre la tête ! Il y a eu pas mal d’allers/retours très riches. Et puis ce projet va en “servir” beaucoup d’autres…
La première représentation est dans quelques jours maintenant. Où en est-on ?
Jean-Marc : La FFTBox est prête. La partition musicale est écrite. Les lumières sont programmées. Il ne nous reste plus qu’à faire l’assemblage entre ces différentes parties et voir si la magie opère.
Sylvain : Normalement, avec un peu de chance et beaucoup de scotch, tout devrait bien se passer !
Et après, que va devenir la FFTBox ?
Sylvain : La représentation du 21 octobre pour Nördik Numérik 2014 ne devrait pas être la seule. D’autres dates devraient suivre en 2015 dont “Jazz sous les pommiers”. Cela nous permettra de proposer et de tester des améliorations du système.
Jean-Marc : Moi, je pense reprendre l’électronique de la FFTBox pour améliorer l’oreille de Captil.
Sylvain : Et tu t’en sers déjà en cours…
Jean-Marc : Oui, j’ai présenté dernièrement le dispositif en cours d’électronique et d’informatique de 1ère année. Les étudiants étaient ravis.
Sylvain : Tout ce travail va également bénéficier à “Interfaces” d’une certaine manière. Ma compagnie travaille en ce moment sur un dispositif interactif avec des étudiants de l’IUT Cherbourg-Manche autour des balles rebonds. La première partie de leur travail a consisté à détecter l’impact. Ils doivent maintenant déterminer la nature de cet impact et notamment le type de balle utilisé. Jusque-là, ils n’avaient pas beaucoup d’idées mais la découverte de l’analyse FFT va leur ouvrir des pistes. Une petite balle n’a pas la même signature qu’une grosse ou qu’une balle à grain qui s’écrase.
D’autres personnes vont-elles pouvoir se servir de la FFTBox ? Allez-vous la mettre à disposition ?
Jean-Marc : C’est un projet open source. On a utilisé des matériels qui ont été développés dans cet esprit et nous nous sommes contentés de les assembler.
Sylvain : Nous allons aussi partager toutes nos informations, prendre le temps de documenter le projet, le rendre lisible. Une partie de ce travail est déjà faite : travailler en équipe nous a forcé à expliciter les différentes étapes. Ce n’est pas un réflexe que l’on a quand on travaille tout seul.
Jean-Marc : Je voudrais aussi en faire une publication scientifique.
C’est important pour toi de partager cette expérience dans ton milieu professionnel Jean-Marc ?
Jean-Marc : Pour moi, ce projet est une véritable action de communication. Il m’a permis de montrer que les sciences de l’ingénieur ont aussi un volet artistique. Le milieu de la recherche a tendance à ne penser que brevets et contrats industriels. Il faut montrer qu’il existe d’autres pistes de développement et de valorisation.
Sylvain : Le secteur culturel est aussi une industrie. On a des entreprises avec des salariés, des charges, des contraintes. Il y a une économie de la culture qui rapporte bien au-delà des chiffres financiers. Dans des systèmes tels que les FabLabs, et dans les économies créatives en général, l’apport de projets comme la FFTBox ne se juge pas uniquement par le gain financier. Evidemment, il y a un budget et il ne faut pas être en déficit mais là, par exemple, la plus grande richesse est dans les rencontres, les échanges de compétences, l’existence même du boîtier, le fait que quelqu’un puisse le reprendre pour en faire autre chose. La richesse de la culture, elle est là.