Game design & Esprit critique #4 : Reconstruire le jeu
Publié par Le Dôme, le 10 février 2023 790
L'association "Kruptos", en partenariat avec Le Dôme et l'Amcsti, lance un webinaire en quatre sessions pour initier les professionel·le·s de la médiation au game design appliqué à l'esprit critique. Retour sur la quatrième et dernière session.
Selon le dernier baromètre “Screen time Index” réalisé en octobre 2020, les Français·e·s passent en moyenne 56 minutes par jour à jouer aux jeux vidéo. C’est pourquoi les formats ludiques (escape games, jeux sérieux, …) se déploient largement dans les formats de médiation. Bien souvent conçus et réalisés directement par les médiateurs et médiatrices, ces projets se heurtent à des difficultés de méthode, de gestion de temps et d’équipe.
Quelles sont les différentes étapes dans la conception de jeu ? Quelles compétences mobiliser ? Quel est le budget à consacrer au développement de ce type d’outil ? Pour répondre à toutes ces questions, l’association “Kruptos” anime, en association avec Le Dôme et l’Amcsti, un webinaire en 4 sessions à destination des professionnel·le·s de la médiation scientifique et culturelle pour s’initier au game design appliqué à l’esprit critique.
Après une trois sessions consacrée à "Déconstruire le jeu", "Construire le jeu" puis "Co-construire le jeu", la quatrième et dernière session avait pour thème “Reconstruire le jeu”.
LA DIFFICULTÉ
Savoir bien doser la difficulté d’un jeu est essentiel : un jeu trop simple est ennuyant tandis qu’un jeu trop difficile est frustrant. Surtout, le plaisir de jouer vient avant tout de notre capacité à surmonter des épreuves : la difficulté est donc nécessaire ! Malheureusement, il n’existe aucune formule magique pour équilibrer un jeu, il faut tâtonner….
Avant même de parler d’équilibrage, savez-vous quels éléments de jeu vont influer sur la difficulté ? Un bon moyen de le découvrir est de lister ce que demande le jeu aux joueur·se·s sur ces trois types de compétences :
- Motricité : quel degré de motricité demande le jeu ? Les différents éléments sont-ils faciles à manipuler ? Faut-il être rapide, utiliser plusieurs mains ?
- Cognition : le jeu fait-il appel à la mémoire ? La règle est-elle difficile à comprendre ? Doit-on débattre et argumenter ?
- Culture : le jeu fait-il appel à des connaissances exogènes ? Le jeu comporte-il des références à une certaine époque ?
- Le thème et l'histoire du jeu sont-ils facilement compréhensibles ?
LA SURCHAGE
Existe-il une mauvaise et une bonne difficulté ? Assurément ! Une bonne difficulté porte sur les compétences que l’on veut développer chez les joueur·se·s. Une mauvaise difficulté porterait ainsi sur la compréhension des règles, la mauvaise fluidité du jeu, bref : sur la capacité des joueur·se·s à compenser les défauts de clarté et d’écriture !
Vous l’aurez compris : la surcharge d’informations ou de règles, c’est de la mauvaise difficulté ! Cette quantité doit être cohérente avec la durée et l’accessibilité du jeu : entre jeu familial et expert, les attentes ne sont pas les mêmes.
LEVIER 1 : LA SIMPLICITÉ
- Assurez-vous que chaque mécanisme de jeu soit indispensable.
- Inspirez-vous des règles d’autres jeux pour écrire la vôtre.
- Éliminez les cas particuliers à chaque fois que c’est possible.
- Imaginez un mode “tutoriel” avec le minimum de règles.
LEVIER 2 : LA COHÉRENCE
- Votre jeu n’est pas qu’un amas de règles : il a un histoire et un univers.
- Plus l’histoire est cohérente avec les règles du jeu, plus elles seront faciles à comprendre et à retenir.
- Si vos règles sont déjà simplifiées au maximum, envisagez de réécrire l’histoire pour qu’elle corresponde mieux.
LEVIER 3 : L'AFFORDANCE
- Votre matériel peut contenir des rappels ou des aides de jeu.
- Certaines règles peuvent également être directement évoquées par la forme du matériel.
- Par exemple, s’il faut poser des cartes sur un endroit précis du plateau, l’emplacement en question devrait faire la même taille que la carte.
UN JEU ÉLÉGANT
Un jeu est dit “élégant” quand il contient peu d’actions mais beaucoup d’actions résultantes.
Une action opératoire est un mécanisme de jeu : ce sont des actions que le jeu autorise explicitement dans les règles. Autrement dit, il existe potentiellement un ensemble de règles pour régir chaque action, ce qui est parfois lourd à digérer !
Par opposition, une action résultante est la façon dont les joueur·se·s se saisissent des règles pour monter des stratégies. Elles sont donc plus valorisantes !
LEVER LES BARRIÈRES
Le jeu a besoin d’une forme de difficulté qui exclura fatalement certains types de handicaps. Plutôt que de s’adapter à un public ayant un handicap particulier, il convient d’essayer d’identifier les décisions de game design qui vont, de fait, exclure des publics quand on a l’occasion de l’éviter.
LA VISION
- Prévoir une alternative textuelle aux images ;
- Faire en sorte que les informations données par les couleurs aient une alternative de forme ;
- S’assurer que le contraste entre la couleur du texte et la couleur de son arrière-plan soit suffisamment élevée ;
- Les typologies sont lisibles par les technologies d’assistance (ex: Luciole) ;
- Pour chaque élément de jeu, l’information est structurée par un titre ;
- L’information ne doit pas être donnée par la forme, la taille ou la position uniquement.
LA MOTRICITÉ
- S’assurer que les gestes soient aussi simples que possible (ex: ne pas utiliser les doigts) ;
- Éviter les doubles actions simultanées ;
- Éviter les mécanismes liés au timing simultané entre joueur·se·s ;
- Ne pas imposer de limite de temps pour une action ;
- S’assurer que les éléments de jeu aient une bonne emprise ;
- Si le jeu comporte des cartes, choisir un matériau solide, et faire en sorte qu’il ne faille pas les garder en main trop longtemps ;
LA COGNITION
- S’assurer que la typographie soit lisible et claire ;
- Introduire les règles petit à petit ;
- S’assurer que la communication à voix haute ne soit pas la seule façon de jouer ;
- Prévoir différents modes de difficulté ;
- Ajouter des indications directement sur les éléments de jeu ;
- Mettre en valeur les mots importants ;
- Distinguer clairement les éléments de jeu des éléments purement esthétiques.
Cette section est une synthèse produite à partir d’un guide en ligne pour créer des jeux plus inclusifs et accessibles pour les handicapés moteurs, cognitifs, visuels, auditifs et verbaux. Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.gameaccessibilityguidelines.com
LA REPRÉSENTATION
Comment votre jeu représente-t-il, ou pas, des identités variées, des problèmes sociaux ou des handicaps ? Une représentation fausse ou absente peut-être nocive pour les groupes de personnes mal représentées, et peut affecter l’opinion des autres sur ces personnes !
LE TRANSPORT
Le transport est la tendance à se laisser transporter psychologiquement par un récit ou un univers. Il est nécessaire que les joueur·se·s créent un lien d’empathie suffisamment fort avec les protagonistes pour transférer vers soi les connaissances et les compétences acquises par les personnages incarnés.
Pour ce faire, la représentation est centrale : les joueur·se·s doivent pouvoir s’identifier aux personnages.
4 conseils pour diversifier vos personnages :
- Concertez : lorsque vous crééz votre personnage avec une identité différente de la vôtre, concertez les personnes concernées : le trouvent-ils réaliste ou caricatural ? Arrivent-ils à s’y identifier ?
- Intégrez : quand vous le pouvez, intégrez la différence de vos personnages dans le gameplay : que signifie la perte de vue dans votre univers ? Comment cette différence peut-elle influer sur les interactions proposées par le jeu ?
- Inversez : Un bon moyen de vérifier si vos personnages sont stéréotypés est d’inverser leurs caractéristiques. Est-ce que vos personnages masculins deviennent ridicules avec les caractères des personnages féminins ?
- Approfondissez : Ne limitez pas vos personnages à leur genre, leur culture ou leur handicap. Les êtres humains sont souvent bourrés de contradictions, essayez d’intégrer une forme de complexité dans leur personnalité !
Cette partie s’inspire d’un guide en ligne produit par l’association Game Impact : “Représenter la diversité”. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site internet de l’association ou lisez l’intégralité du guide sur le site de Game impact.
Reconstruire le jeu, c’est intégrer une difficulté juste, valorisante et constructive. Comme n’importe quel élément de game design, elle doit servir le propos de l’expérience proposée par le jeu, en gardant en tête que certaines décisions vont nécessairement exclure certains publics. Il faut donc s’assurer de ne pas lever de barrières non nécessaires !
Ce webinaire est animé par l'association Kruptos, en partenariat avec Le Dôme et l'Amcsti, et avec la participation du Département du Calvados dans le cadre du parcours "Brigade anti-fake news". Il bénéficie du soutien du Ministère de la Culture en lien avec le Plan “Éducation aux médias et à l’information”. Elle est co-produite avec l’Université de Caen Normandie dans le cadre du label “Science avec et pour la société” du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.