Retour sur... Hydrogène : le vrai, le faux, le flou
Publié par Jean Picard, le 28 juin 2018 4.9k
Le 5 juin 2018 s'est tenue, de 18h à 21h, la rencontre "Hydrogène : le vrai, le faux, le flou". Autour d'un jeu de questions/réponses entre intervenants et public, une cartographie de la controverse de l'énergie hydrogène a été dressée.
Le programme TÉTHYS interroge la mise en démocratie de la transition énergétique à travers l'hydrogène. Dans ce cadre, l'équipe de chercheurs coordonnée par Frédérick Lemarchand construit peu à peu une relation horizontale avec les citoyens, le public intéressé par cette démarche.
C'est en suivant cette volonté que s'est organisée la soirée "Hydrogène : le vrai, le faux, le flou". Pendant plus de 2 heures, les questions se sont succédées autour de quatre thématiques : la production, la rentabilité, le stockage et les usages de l'hydrogène.
4 intervenants étaient présents pour y répondre :
Mathilde Belhache, Chargée de mission "Pôle énergies" à la Région Normandie
Hamid Gualous, Enseignant-chercheur et Directeur du Laboratoire universitaire des sciences appliquées de Cherbourg (LUSAC).
Laurent Jammes, Associé chez ENEA Consulting et Directeur Général d'Actys Bee
Frédérick Lemarchand, Enseignant-chercheur au Centre d'études et de recherche sur les risques et les vulnérabilités(CERReV), Co-Directeur du Pôle "Risques" de la Maison de la recherche en sciences humaines de l'Université de Caen Normandie (MRSH Normandie Caen).
L'enjeu de la soirée a également été de dresser une cartographie de la controverse de l'hydrogène. Grâce à l'équipe des fact-checkers du CLEMI Caen et du Club de la presse et de la communication de Normandie, toutes les informations, les questions ou les raisonnements produits lors de la soirée ont pu être vérifiés et évalués en direct selon leur importance dans le débat national et médiatique.
La soirée et le débat ont été retranscrits par François Boissel, facilitateur graphique au service de l’hydrogène pour un soir. Ses dessins ont permis une meilleure compréhension de l’ hydrogène et de ses enjeux à tous les participants.
Voici un résumé du jeu de question/réponse auquel se sont livrés le public et les intervenants de la soirée.
LA PRODUCTION DE L’HYDROGÈNE
Comment fabrique-t-on de l’hydrogène ?
Hamid Gualous (HM) : Il y a plusieurs solutions : l’hydrolyse de l’eau mais aussi la production de l’hydrogène à partir du gaz naturel et des hydrocarbures. L’eau : c’est un atome d'oxygène et deux d’hydrogène qui sont liés. Il faut réussir à les délier en apportant de l’énergie. Cette énergie peut être apportée sous forme d’électricité, c’est l’électrolyse de l’eau, ou d’autres énergies renouvelables comme le solaire, l’hydrolien, l’éolien ou à partir des hydrocarbures. Ce qui est important à retenir c’est que pour produire de l’hydrogène, il faut casser ce lien entre les atomes d’hydrogène et d’oxygène qui composent l’eau, et par conséquent il faut de l’énergie pour produire de l’hydrogène.
Comment produit-on de l’électricité à partir de l’hydrogène ?
HM : Il y a au moins deux solutions possibles : la pile à combustible et l’électrolyse de l’eau. La pile à combustible c’est l’inverse de l’électrolyse de l’eau. C’est-à-dire qu’on va injecter dans la pile à combustible de l’hydrogène et de l’oxygène. Par une réaction l’oxygène et l’hydrogène se recombinent (contrairement à l’électrolyse de l’eau qui sépare les atomes, NDLR) pour produire de l’eau, de l’électricité et de la chaleur.
Quel est l'enjeu des territoires dans la production d'hydrogène ?
Frédérick Lemarchand (FL) : L’hydrogène remplace les batteries par ses capacités de stockage de l’énergie. Il a une autre caractéristique c’est qu’il peut être produit par les territoires. Contrairement au pétrole au à l’uranium qui est importé, l’hydrogène re-territorialise l’énergie avec des moyens comme l’éolien, l'hydraulique ou le solaire.
Mathilde Belhache (MB) : Il y a au Havre une entreprise, Morphosis, qui travaille sur une étude pour recycler le platine qui est utilisé dans les technologies hydrogènes depuis cette année, dans l’esprit de territorialisation de la transition énergétique.
La production d'hydrogène est-elle par définition écologique ?
Laurent Jammes (LM) : La production d’hydrogène à partir d’hydrocarbure, de gaz ou de charbon produit du CO2 en même temps. De plus, cette production représente 95% de la production mondiale d’hydrogène. L’électrolyse est peu développée pour des raisons de coûts important qu'elle engendre pour les industriels. Il est néanmoins possible de piéger le CO2 qui s’échappe et le revendre comme CO2 alimentaire ou solvant. Pour ce qui est des émissions, c’est essentiellement lié à l’usage des fossiles. Dans le cas de l’hydrogène, qui donne de l’électricité et de l’eau, il n’y a aucune émission dégagée. La seule émission possible est liée à la fabrication d’électricité pour fabriquer l’hydrogène (donc dans la production d’hydrogène, NDLR). On parle d’hydrogène vert quand celui-ci est fabriqué à partir d’eau et d’électricité renouvelable, et uniquement à cette occasion. Si l’hydrogène est produit à partir de méthane (et même si ce dernier est décarboné) il n’est pas vert. Il y a un réel impact des déchets utilisés pour produire de l’hydrogène, qu’il faut minimiser par le recyclage maximum.
Quelles sont les capacités de la région normande dans l'enjeu de transition énergétique ?
FL : La Normandie, une des régions les plus nucléarisée du monde, a un fort potentiel à jouer dans la transition énergétique. Grâce à la conjugaison de multiples ressources comme la biomasse, le vent sur terre comme sur le littoral, le potentiel énergétique renouvelable est bien là. Si le territoire se lançait dans un développement énergétique de cette envergure, la région produirait plus d'énergie qu'elle n'en a besoin. C’est un territoire à énergie positive.
MB : La Région s’intéresse à l’hydrogène pour plusieurs raisons, et notamment pour le stockage d’énergies renouvelables. De plus, les Régions ont dans leurs compétences la mise en place de la transition énergétique dans les territoires, et donc notre objectif est de développer au maximum les énergies renouvelables en Normandie. Nous proposons notamment de tester des bus, des cars ou des trains hydrogène en Région. Le but est d’avoir un retour d’expérience sur ces technologies hydrogène.
LA RENTABILITÉ DE L'HYDROGÈNE
L'hydrogène est-elle rentable par rapport au GPL ou au Diesel ?
HM : Il faut parler ici en terme de densité massique d’énergie. Quand vous avez un kilo de pétrole par exemple, vous avez à peu près une dizaine de kilowatter. Pour l’hydrogène, 1kg d’hydrogène vous avez entre 30 et 40 kilowatter. Pour le GPL et les hydrocarbures, c’est entre 10 et 13, donc vous avez à peu près un rapport de 2 à 3 en terme de densité d’énergie c’est à dire l’énergie contenue dans un kilogramme. Après il ne faut pas oublier que l’hydrogène à pression atmosphérique est très volumineux, c’est pourquoi il est nécessaire de le comprimer.
LJ : Il faut préciser un peu ce que l’on appelle performance. Pour ce qui est de la performance économique, on résonne en ce que l’on appelle le coût total de possession, c’est-à-dire combien va coûter un kilomètre. Sur cette question, entre les véhicules utilitaires hydrogènes et diesel, l’hydrogène est un peu plus mauvais en terme de performance économique. Mais cela ne prend pas en compte les bénéfices environnementaux. C’est une question à pondérer.
Quels sont les investissements des collectivités dans l'énergie hydrogène ?
LJ : Aujourd’hui, l’hydrogène doit prouver qu’il a un potentiel, avec le jeu de lobbys que cela implique. Le plan hydrogène proposé par le gouvernement (100 millions d’euros, NDLR) va sûrement contribuer à faire bouger les choses. Néanmoins, les grands financements de recherches sur l’hydrogène proviennent de l’Union Européenne. Ce qui pose le plus problème, ce n’est pas le financement de la recherche mais celui du déploiement de la technologie hydrogène. C’est une étape qui demande beaucoup plus que quelques centaines de millions d’euros, on parle ici de milliard d’euros. Enfin, il y a une grosse difficulté de financement des infrastructures de transport.
HG : Rappelons que le Plan Hydrogène du gouvernement concerne 100 millions d’euros, alors que l’Union Européenne a mit 1,4 milliard d’euros pour la filière. Ce sont des sommes colossales qui sont demandées. Les Régions de France se sont appropriées la question de l’hydrogène, la filière sera donc bien implantée dans les territoires.
MB : Dans ce cadre, la Région Normandie travaille sur le programme EAS-HyMob qui construit l’amorçage de la mobilité hydrogène. Le but est de construire 15 stations de recharge hydrogène. Le budget est de 4 800 000 et est financé à 50% par l’Union Européenne et à 20% par la Région. Cela témoigne d’une volonté de l’Union Européenne et de la Région Normandie de déployer une politique hydrogène.
LE STOCKAGE DE L'ÉNERGIE HYDROGÈNE
Comment se passe l’entretien des véhicules à hydrogène ?
MB : L’entretien des véhicules est en constante progression. Le suivi et les évaluations sont notamment portés et facilités par le programme EAS-HyMob de la Région Normandie. On déploie des infrastructures de recherches concernant notamment ces questions d’entretien. Une fois que la flotte de véhicule sera assez importante, la société Symbio formera des garages pour l’entretien des véhicules. La feuille de route régionale demande de mener une étude concernant les besoins en personnels d’entretien des véhicules.
Aujourd'hui, quelles sont les perspectives pour un particulier de se procurer un véhicule hydrogène ?
LJ : Aujourd’hui, une kangoo par exemple coûte entre 38 et 40 000 euros, bonus écologique compris. Le surcoût est notamment dû à la pile (pile qui recharge les batteries, NDLR), qui doit être de 18 000 euros. C’est une petite série pour l’instant, juste après la phase de démonstration et qui n’a pas encore les réduction de coût liées à la standardisation de la production. Il faut globalement multiplier la production par 10 pour diviser le coût par 2.
L'USAGE DE L'HYDROGÈNE
Est-ce qu'il peut y avoir une utilisation navale de l'hydrogène ?
LJ : Nous pouvons citer le projet Navibus à Nantes qui est un transborder. Ce sont des choses qui sont étudiées, notamment pour les ferrys. Cela s’explique par la pollution importante générée pas ces activités.
MB : La Région a été approchée pour un projet de navire-école au Lycée professionnel et aquacole de Cherbourg-en-Cotentin, qui sera un navire de pêche. Il s’agit d’un navire électrique qui fonctionnera grâce à l’hydrogène. C’est un projet qui n’a pas encore été voté mais qui fait parti des expérimentations menées par la Région.
Des usages locaux de l'hydrogène sont-ils envisageables ?
LJ : Sylfen propose quasiment, pour les grosses maisons ou les petits bâtiments, un système de gestion de l’énergie avec une pile à combustible et une batterie. C’est un système qui sera à l’étape de la démonstration très prochainement.
HG : Ce qui pourrait émerger c’est que chacun produise son énergie avec un dialogue entre voisin par exemple. D’un point de vue social, on pourrait appeler ça la collaboration de petis réseaux électriques.
FL : Dans le domaine de l’énergie ce n’est pas une révolution, les communautés ont toujours produits de l’énergie avec le bois, le vent, la force de l’eau depuis l’antiquité. On s’est ensuite basé pendant deux siècles sur la chaleur comme énergie, et on assiste aujourd’hui à une re-découverte de la production et l’utilisation locale de l’énergie. De la même manière que l’on crée des circuits courts pour l’alimentaire, il faut faire de même avec la production d’énergie. Ce serait une révolution politique de l’énergie avec une ré-appropriation citoyenne.
Les rencontres "What the fact : le vrai, le faux, le flou" sont organisées en partenariat avec le CLEMI Caen, le Club de la presse et de la communication de Normandie et Echosciences Normandie dans le cadre de la Semaine européenne du développement durable.
Annonces, rendez-vous, interviews, restitutions d'ateliers, ... Suivez toute l'actualité du parcours dans notre dossier spécial "TÉTHYS".
Les prochains rendez-vous dans le cadre du programme TÉTHYS, auront lieu les 2 et 4 octobre prochain lors du TURFU Festival 2018 organisé par le Dôme. Les thématiques abordées seront la mobilité le 2 octobre et l’habitat le 4 octobre. Les ateliers LivingLab auront lieu en demi journée, le matin de 9h30 à 12h30 ou l’après midi de 14h à 17h. N’hésitez pas à vous inscrire à partir de fin Août sur le site du TURFU.