La gestion funéraire des épidémies de peste

Publié par UNICAEN Normandie, le 18 juillet 2018   2.7k

L’Aître Saint-Maclou de Rouen, aujourd’hui classé monument historique, a été un lieu de sépultures durant quatre siècles. Des fouilles archéologiques sont en cours jusqu’au 27 juillet, sous la conduite de Cécile Chapelain de Seréville-Niel (CRAHAM | UMR 6273 UNICAEN-CNRS) et d’Aminte Thomann (INRAP). Objectifs : comprendre les modes de vie des populations du Moyen Âge et identifier l’origine du cimetière, attribuée à l’épidémie de grande peste noire de 1348.

L’Aître Saint-Maclou : un cimetière de la peste ?

Les archives indiquent que le cimetière de l’Aître a été créé pour faire face à la grande peste noire de 1348. Cependant, les premières mentions d’achats de ces terrains agricoles des faubourgs de Rouen remontent à 1335, soit treize ans avant le pic épidémique. Et la création du cimetière remonterait à 1362, soit quatorze ans après le pic épidémique. La grande peste noire est-elle donc véritablement à l’origine de la création du cimetière de l’Aître Saint-Maclou ? Les fouilles permettront de confronter les données de terrain aux archives. Une première campagne de sondages archéologiques a été menée par l’INRAP en 2016. « Nous avons effectué des analyses ADN qui ont mis en évidence le bacille de la peste, ou tout du moins d’un des types de pestes, puisque Rouen a dû faire face à plusieurs vagues d’épidémies successives au cours des siècles suivants », précise Aminte Thomann, archéo-anthropologue à l’Institut de recherches archéologiques préventives. « Ces analyses prouvent donc que des victimes de la peste ont bien été inhumées à l’Aître Saint-Maclou ». Cette nouvelle campagne de fouilles, dans le cadre d’un chantier-école, vise à atteindre les niveaux inférieurs du 14e siècle pour étudier les toutes premières inhumations, comprendre la gestion de l’espace funéraire en cas d’épidémies, et peut-être, élucider l’origine de l’Aître Saint-Maclou. « Mais nous restons modestes, souligne Aminte Thomann. Le secteur de fouilles ne concerne qu’une petite partie de l’Aître alors que le cimetière de la paroisse Saint-Maclou était très étendu. Nous ne savons pas d’ailleurs précisément où se trouvait le cimetière d’origine ». La campagne de fouilles se concentre autour du calvaire - monument distinctif qui, selon la source orale, serait l’emplacement de grandes fosses communes.

L’archéoanthropologie funéraire : une porte ouverte sur les sociétés du passé

L’Aître Saint-Maclou, utilisé comme cimetière paroissial après les épidémies de peste, a été densément occupé durant 400 ans, du 14e siècle jusqu'à la fin du 18e siècle. Une deuxième campagne de fouilles menée en 2017 puis une troisième, actuellement en cours jusqu’au 27 juillet 2018 ont permis d’exhumer de nombreuses sépultures modernes des 16e, 17e et 18e siècles... avant d’atteindre les niveaux médiévaux recherchés. « Une chance pour nous et pour les étudiants qui participent à ce chantier-école. Il est rare d’avoir l’opportunité de mener des fouilles archéologiques sur un site qui fait le lien entre la fin du Moyen Âge et l’époque moderne », indique Aminte Thomann.

En 2017, 230 squelettes ont été identifiés. Le chantier-école de 2018 devrait mettre au jour 250 à 300 squelettes supplémentaires. Le positionnement des ossements les uns par rapport aux autres en dit long sur le mode de décomposition du corps. « Nous avons, dans l’immédiat, atteint les niveaux des 15e et 16e siècles », souligne Cécile Chapelain de Seréville-Niel, ingénieure de recherches au CRAHAM. « Tout porte à croire que les corps reposaient dans des cercueils ou au minimum dans des linceuls. Mais les déplacements osseux prouvent que la décomposition des corps était probablement peu avancée au moment des inhumations suivantes, ce qui démontre l’urgence de la situation. En dépit de l’urgence, les premières observations laissent penser à une gestion raisonnée des épidémies, avec des inhumations individuelles ».

Paléomicrobiologie, paléoanthropologie, paléoparasitologie, analyses isotopiques, analyses ADN… Des études complémentaires seront également menées pour en savoir plus sur la population de la paroisse Saint-Maclou. Quels étaient leurs conditions de vie et leurs types d’alimentation ? Etaient-ils confrontés à des carences nutritionnelles ? Peut-on identifier l’ADN fossile des grands pathogènes - peste, tuberculose, syphilis ? « Les textes indiquent que Saint-Maclou comptait beaucoup d’artisans, précise Cécile Chapelain de Seréville-Niel. Les premières observations démontrent plusieurs cas d’atteintes ostéologiques sans doute liées à des maladies professionnelles. On retrouve également de nombreux cas de rachitisme, ce qui évoque une population locale défavorisée. Mais les études en post-fouilles confirmeront ces données ». 

L’Aître Saint-Maclou n’a donc pas fini de révéler tous ses mystères !