"Nous sommes tou·te·s des passeur·se·s de frontières !"

Publié par Guillaume Dupuy, le 11 février 2020   2.6k

Du Maroc à la France, en passant par le Canada, Nawal Haddioui a traversé les frontières pour trouver sa voie. Aujourd'hui chercheuse à l'Université de Rouen Normandie, elle a choisi de s'intéresser à celles et ceux qui, comme elle, n'hésitent pas à dépasser les limites pour nourrir leur créativité et innover.

TROUVER SA VOIE

Le bac en poche, Nawal Haddioui s'inscrit en institut d'arts graphiques au Maroc. "Je voulais travailler dans le domaine de la communication. Je m'y voyais vraiment, mon entourage aussi". Dès le premier stage en entreprise, c'est le déception. "La réalité de la vie d'une agence est très différente de ce que j'avais imaginé. Les clients venaient, nous disaient ce que l'on devait faire et l'on éxécutait". Sur les conseils d'un directeur artistique, Nawal s'envole au Canada pour suivre des études en arts plastiques mais un accident la pousse à reconsidérer ses objectifs. "J'ai travaillé avec un conseiller d'orientation qui m'a ouvert deux voies : la recherche ou la gestion des ressources humaines. Je ne m'imaginais pas du tout travailler en laboratoire, j'ai choisi la seconde option". 

La jeune femme obtient un Bachelor et un DESS et se lance dans le monde du travail. "J'ai obtenu un premier poste à l'Université puis travaillé dans l'acquisition des talents et le conseil en ressources humaines. J'ai adoré ça".  Au bout de 10 ans, Nawal se dit qu'il est temps d'aller découvrir autre chose. Retour au Maroc où elle travaille dans la formation et le développement des compétences en tant que cheffe de projets pour la mise en place d'une université d'entreprise. "Plusieur·e·s salarié·e·s partaient à la retraite, nous devions réussir à capitaliser leurs connaissances et leurs savoir-faire pour les partager avec les équipes". Une fois le projet lancé, Nawal se remet de nouveau en question. "J'aimais la formation mais je sentais qu'il me manquait quelque chose. J'ai réfléchi à ce que je voulais et repensé aux conclusions de l'orientateur... Et pourquoi pas la recherche finalement ?".

DÉPASSER SES LIMITES

La jeune femme se fixe donc un nouvel objectif : mener une thèse. Elle s'inscrit en Master de recherche à l'Université de Caen Normandie. Mais quel sujet choisir ? "Un de mes enseignants me répétait souvent : ne choisit pas un sujet qui te passionne mais un sujet qui t'intéresse. La passion peut disparaître, la curiosité se développe". Pour Nawal, ce sera la créativité, la création et le partage des connaissances dans les tiers-lieux. "J'ai toujours été curieuse de savoir comment se créait la connaissance. Moi, par exemple, j'ai dû apprendre à dessiner à l'école d'arts plastiques. Tout s'apprend, avec beaucoup de travail et d'intérêt. Mais il y a aussi ces étudiant·e·s qui sont capables de faire un croquis d'un simple coup de crayon de façon totalement innée".

Nawal trouve une directrice de recherche, Fanny Simon, Enseignante-chercheuse au laboratoire "Normandie, innovation, marché, entreprises et consommation" (NIMEC) et se lance. "Il y a eu un moment, au début, lorsque l'on doit lire tout ce qui a été publié sur notre sujet, où je me suis dit que ce n'était pas pour moi mais une fois sur le terrain, lorsque j'ai commencé à trouver des résultats, ça a été une révélation. C'est un moment très spécial dont je me souviens très bien. Parfois, on se pose des questions. Est-ce que je fais ce que je dois faire ? Est-ce que j'ai bien trouvé ma place ? Là, j'avais trouvé ma réponse".  

OUVRIR L'INNOVATION

Au cours de ses recherches, elle découvre les "Boundary spanners". "Ce sont des femmes et des hommes qui dépassent les frontières de l'entreprise en allant échanger des idées, partager leurs connaissances, voire co-créer et co-développer avec d'autres personnes issues de différents secteurs d'activité. En fait, cela peut être vous ou moi. Nous sommes tou·te·s des passeur·se·s de frontières". Nawal part sur la trace de ces "BS", comme elle les surnomme. "J'ai eu de la chance. Ma directrice de recherche m'a donné le contact d'un étudiant qui m'a parlé du Dôme où il participait à un projet. J'y suis allée et je suis tombée sur ce salarié d'une grande entreprise locale qui travaillait avec cet étudiant, une bibliothécaire et des habitué·e·s du lieu sur un livre connecté". La chercheuse suit le groupe pendant plusieurs semaines, observe, prend des notes, interroge aussi. "Je voulais savoir en quoi les tiers-lieux, comme Le Dôme, constituent des espaces privilégiés pour développer cette innovation ouverte et comment ces personnes parvenaient à capitaliser les idées et les connaissances pour créer de la valeur pour l'entreprise".

Aujourd'hui doctorante à l'Université de Rouen Normandie, Nawal poursuit ses travaux avec sa directrice de recherche, Fanny Simon. "L'ouverture aux publics est une démarche intégrée dans les services marketing et se développe de plus en plus dans la recherche et le développement. Faute de repères, les boundary spanners agissent parfois de façon spontanée, ce qui peut entraîner des pertes de données ou un manque de concrétisation des idées. En créant un modèle, j'espère pouvoir aider les entreprises à structurer au mieux le processus de créativité et de création des connaissances, notamment dans les tiers-lieux, pour les encourager à ouvrir l'innovation !"


Crédits : Le Dôme/G. Dupuy (DR).