Pour une recherche "connectée à la société"
Publié par Marylène Carre, le 25 juillet 2018 3.2k
Francis Eustache dirige à Caen la seule unité de recherche en France totalement dédiée à l’étude de la mémoire humaine et de ses dysfonctionnements. Il est aussi très engagé sur le terrain de la médiation scientifique. Il a été retenu par le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour être l’ambassadeur de la Normandie à la Fête de la science.
"Je considère que le partage des connaissances avec le public fait partie du travail du chercheur. Pas de tous nécessairement, mais d’une communauté de chercheurs. Dans chaque laboratoire, il faut que certains prennent en charge cette médiation scientifique, afin que la recherche ne soit pas déconnectée des réalités sociétales".
Francis Eustache est directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) et dirige, à Caen, l'unité de "Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine" (NIMH) dédiée à l’étude de la mémoire humaine et de ses maladies. Il est également président du conseil scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, qui vise à faciliter l’accès aux recherches et aux découvertes autour de la mémoire. Grand spécialiste de la mémoire et de ses dysfonctionnements, il est très souvent sollicité pour parler des recherches de son équipe.
"VULGARISER
NE VEUT PAS DIRE SIMPLIFIER"
"La thématique de l’Inserm nous convoque dans le débat public. Nos programmes de recherche abordent des questions sociétales qui parle aux citoyens que nous sommes : le développement de la mémoire chez l’enfant, l’impact du vieillissement, la maladie d’Alzheimer, la mémoire collective des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, les mémoires numériques… Nous devons répondre à ces sollicitations, mais cela implique aussi de les organiser", poursuit le chercheur. "Nous avons une responsabilité scientifique et déontologique sur ce que l’on dit, notamment sur certains programmes de recherche. Le risque serait de réduire le travail scientifique aux formats médiatiques". Vulgariser ne veut pas dire simplifier.
Si l’idée de diffuser la science n’est pas nouvelle, la "médiation scientifique" connaît un essor et une structuration importantes depuis les années 2000. Les manifestations de promotion de la science auprès du grand public se multiplient (Fête de la science, Semaine de la mémoire, Semaine du cerveau, … ), des structures dédiées à la médiation scientifique se sont créées et les institutions de tutelle des chercheurs développent leurs propres dispositifs. "Aujourd’hui, c’est autant le public qui vient à la recherche, au cours des portes ouvertes de laboratoires ou des conférences, que le chercheur qui va à la rencontre des publics, dans des lieux parfois inattendus comme un bistrot ou un théâtre".
"LA RECHERCHE
DOIT AVOIR UN SENS"
Le partage de la recherche avec le(s) public(s) fait bouger les lignes. Elle suscite des vocations. "La Fête de la science attire des dizaines de milliers de personnes et surtout des jeunes pour lesquels la rencontre avec un chercheur n’est jamais neutre. Il y a un impact réel", estime Francis Eustache. Toucher le public, c’est aussi indirectement toucher les décideurs, qui ne suivent pas nécessairement les publications scientifiques. "Les laboratoires et les chercheurs ont besoin de visibilité".
Pour le chercheur lui-même, la médiation est l’opportunité d’une mise en perspective de sa recherche. "Le fait de sortir de son laboratoire, de son travail pointu et minutieux de chercheur, l’oblige à prendre du recul et à formuler les choses de façon plus claire. Le regard de la société, les questions du public lui permettent de réajuster son travail : À quoi sert exactement ce que je fais ? Quels sont les enjeux ? Il faut que la recherche ait du sens". Des questions éthiques se posent à la science, qui ne doivent pas être confisquées par les laboratoires ou les commissions spécialisées, mais partagées avec les citoyens. La médiation est aussi un moyen de contrer une science toute puissante.
MÉMOIRE DU FUTUR /
MÉMOIRES NUMÉRIQUES
À l’occasion de la Fête de la science, Francis Eustache animera le mardi 9 octobre 2018 à l'Université de Caen Normandie une conférence-débat autour du livre "La mémoire du futur aux prises avec les mémoires numériques" publié par l’Observatoire B2V des mémoires. Il sera accompagné de Bernard Stiegler, directeur de l'Institut de recherche et d'innovation du Centre Pompidou, et Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste de l'intelligence artificielle et président du Comité d'éthique du CNRS.
Si la mémoire est la capacité du cerveau à voyager dans le passé, elle l’est aussi à se projeter dans le futur. Cette mémoire prospective, qui œuvre à nos prises de décision, est aujourd’hui imbriquée avec les nouveaux moyens d’information et de communication, l’intelligence artificielle et la robotique. Comment nos "mémoires internes" évoluent-elle face à l’usage exacerbé de ces "mémoires externes" ?
En partenariat avec la Semaine de la mémoire.
Annonces, appels à candidatures, rendez-vous, trucs et astuces, ... Suivez toute l'actualité de la 27ème Fête de la Science dans notre dossier spécial "Fête de la Science 2018".
Crédits : Le Dôme/M. Carre (DR).