REMEMBER, le volet biomédical du programme 13-Novembre

Publié par UNICAEN Normandie, le 15 janvier 2017   2.1k

Les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre 2015 sont au cœur d’un ambitieux programme de recherche sur l’interaction entre mémoire individuelle et mémoire collective. « 13-Novembre » s’attache à étudier la construction et l’évolution de la mémoire d’un événement qui a provoqué une véritable onde de choc au sein de la société française. Le neuropsychologue Francis Eustache, directeur de l’unité de recherche Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine et co-responsable scientifique de l’étude aux côtés de l’historien Denis Peschanski, fait le point sur l’avancée d’un programme inédit par son ampleur.

Comment l’étude « Remember » s’inscrit-elle dans le programme « 13-Novembre » ?

Le programme « 13-Novembre » comprend plusieurs études coordonnées, dont « Remember ». L’objectif global de « 13-Novembre » est d’étudier comment l’événement traumatique évoluera, au fil des années, dans la mémoire individuelle et la mémoire collective. Le programme associe des historiens, des sociologues, des psychologues, des neuroscientifiques, mais également des mathématiciens et des informaticiens, dans une démarche transdisciplinaire. L’échange entre disciplines est essentiel pour mieux appréhender la complexité de la mémoire et en saisir tous les aboutissants. Le Centre national de la recherche scientifique · CNRS, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale · INSERM et héSam Université assurent la coordination scientifique et administrative du programme qui réunit 35 partenaires institutionnels, laboratoires et associations.

Ce qui constitue le cœur du dispositif, ce sont les témoignages. Les témoignages de 1 000 personnes volontaires seront recueillis au cours de quatre campagnes d’entretiens successives menées sur une période de dix ans. Quatre profils de témoins ont été plus particulièrement ciblés en fonction de leur implication et de leur exposition face à cet événement d’une extrême violence. La première phase d’entretiens est sur le point d’être terminée. Parmi les 1 000 témoins, 300 personnes directement exposées aux attentats ont témoigné - survivants, proches endeuillés, forces de l’ordre et professionnels de santé qui sont intervenus sur les lieux des attentats.

Les entretiens sont filmés à l’Institut national de l’audiovisuel · INA et deviendront, à terme, patrimoine de la nation. Parallèlement, l’INA mène également une étude sur la couverture de l’événement dans les médias - journaux télévisés et radio, presse écrite, sites web, ou encore réseaux sociaux. Les médias participent à la construction de la mémoire collective. L’idée est de repérer des occurrences de termes autour des attentats afin d’évaluer le retentissement médiatique. Il y a en particulier des pics médiatiques lors des commémorations ou lorsque de nouveaux épisodes traumatiques surviennent, comme l’attentat de Nice le 14 juillet 2016. Ces événements vont réactiver la mémoire et la symptomatologie des victimes, et notamment le trouble de stress post-traumatique que nous étudions plus particulièrement dans le cadre de « Remember ».

Quelles sont les dynamiques cérébrales à l’œuvre dans le cas d’un trouble de stress post-traumatique ? Quelles sont les caractéristiques de ce syndrome ?

Le syndrome de stress post-traumatique se caractérise par des symptômes dits d’« intrusions ». Il s’agit d’images formées d’éléments émotionnels et sensoriels issus de la scène traumatique. Certains éléments de la scène sont ainsi accentués par la mémoire. Ces intrusions peuvent surgir à n’importe quel moment : elles s’imposent brutalement au sujet, comme si la situation se rejouait de nouveau. Ce qui provoque une sensation d’angoisse. Il est difficile de juger de la guérison d’un trouble de stress post-traumatique, les symptômes pouvant apparaître et disparaître.

Par ailleurs, les personnes exposées à une situation émotionnellement intense ne développent pas nécessairement un trouble de stress post-traumatique. Les individus ne réagissent pas de la même façon face à une situation traumatisante. L’anamnèse - les antécédents d’un individu, ce qui a été vécu avant l’événement - a une influence considérable, tout comme l’entourage familial, amical, et professionnel ou encore le dispositif de soins reçus et la perception qu’il se fait de la réponse de la société. Nous tentons de prendre en compte tous ces paramètres.

Les réseaux qui sous-tendent, dans le cerveau, le trouble de stress post-traumatique et la gestion des intrusions, sont en partie identifiés, mais « Remember » va permettre d’affiner ces connaissances avec différents protocoles d’IRM fonctionnelle et d’IRM structurale. Nous allons étudier les mécanismes cérébraux qui sont à l’origine de ces intrusions, et plus particulièrement la connectivité entre deux régions du cerveau : l’hippocampe, impliqué dans la gestion de la mémoire, et l’amygdale, impliquée dans la gestion des émotions.

Comment s’organise l’étude « Remember » ?

Près de 120 personnes appartenant au premier cercle des victimes directement confrontées aux attaques terroristes sont suivies dans le cadre de l’étude biomédicale « Remember ». 72 personnes supplémentaires, originaires de Caen et non présentes sur les lieux des attentats, participent également à l’étude. Après une série d’entretiens préalables, ces 192 personnes sont reçues individuellement à Caen. Elles passent, durant deux jours, des tests neuropsychologiques et des examens d’imagerie cérébrale au centre Cyceron et au Pôle des formations et de recherche en santé où se situe notre laboratoire. Il convient de préciser qu’aucune image des attentats n’est utilisée dans ce cadre. Les données obtenues seront analysées : il s’agira d’étudier la capacité de ces personnes à inhiber et à refouler des pensées intrusives.

« 13-Novembre » est une étude longitudinale menée sur une période de douze ans. Les 192 personnes seront accueillies à Caen à trois reprises durant cette période. Nous nous intéressons donc au devenir de ces personnes. Est-ce qu’elles vont conserver des symptômes ? Si oui, pourquoi ? Est-ce qu’elles vont, au contraire, être capables de les surmonter ? Auquel cas, quels sont les mécanismes de défense qu’elles auront pu mettre en place ? Il s’agira d’évaluer l’impact des chocs traumatiques sur la mémoire et leurs manifestations dans le cerveau.


Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine est une unité de recherche sous tutelle de l'université de Caen Normandie, de l’École pratique des hautes études et de l'INSERM.

Article à retrouver dans le journal de la recherche de l'université de Caen Normandie Prisme  n°4 (janvier 2017)

Crédits : Inserm / François Guénet (DR)