Semaine intensive 2021 : "Acupuncture urbaine, Ville intelligente"
Publié par Le Dôme, le 27 janvier 2021 990
Comment le Big Data et les Intelligences artificielles peuvent-elles transformer les espaces urbains ? Pendant cinq jours, les élèves-ingénieur·e·s de l’ENSICAEN et les étudiant·e·s du “Campus des transitions” ont exploré et prototypé des propositions entre vision rêvées, utopiques ou critiques de l’injection du tout numérique dans nos vies et nos villes !
Avec le renouvellement des phases de confinement et une définition imposée de ce qui nous est “essentiel”, le traitement digital de la pandémie touche ses limites. Alors qu’investir les espaces publics ou collectifs physiques demeure incertain, quelle acupuncture urbaine peut-on imaginer en complément de ces soins palliatifs numériques ? Quels outils peut-on déployer, de façon temporaire ou non, dans certains interstices de nos villes pour repenser des solutions et des usages plus adaptés aux réalités locales ? Ce sont les questions que se sont posées les étudiant·e·s de l’Ecole nationale supérieure d’ingénieur·e·s de Caen (ENSICAEN) et du master “In Situ” du "Campus des transitions” de Sciences Po Rennes, du 11 au 15 janvier 2021, depuis Le Dôme et avec le soutien des équipes du Pavillon. Réunis à la fois en présentiel mais également à distance, 10 groupes se sont lancés dans un exercice de créativité et de prototypage d’outils, d’objets et d’usages urbains connectés au regard des contraintes nées de la crise sanitaire.
À la fois démarche de formation, de créativité mais aussi critique du solutionnisme technique qui semble s’imposer à nous, elles et ils ont dû proposer en seulement 5 jours tantôt de vraies solutions dont nous pourrions être les premier·e·s bénéficiaires, tantôt des dispositifs fictionnels, incongrus voire utopiques, permettant d’appréhender les dérives et impasses de la “Smart city”. Au final, ce ne sont pas moins de dix prototypes fonctionnels, accompagnés de 10 sites internet qui ont été réalisés, comme autant d’illustrations des rêves et angoisses des étudiant·e·s, mais aussi de démonstrations de leurs apprentissages et compétences.
Quels usages des données personnelles ?
La Smart City utilise les données personnelles de façon intensive et concentre nombre de ses dérives. C’est ce qu’illustre l’application “VéliSanté”, capable de bloquer l’accès aux bornes vélos aux habitant·e·s selon leur profil sanitaire grâce à un système de reconnaissance faciale. Après tout, l’usager·e savait à quoi s’exposer en acceptant les conditions générales d’utilisation ! Et si elle ou il utilise l'application “Pop'n'go”, elle ou il a également vendu son âme au diable et renoncé à tous ses droits moraux. Une utopie pas si éloignée de la réalité, puisque cette dernière condition est explicitement mentionnée dans les CGI de Spotify.
Pour autant, les données personnelles peuvent également être des outils d’inclusion, en améliorant les services à destination des publics marginalisés de l’espace public. L’équipe “EyeTravel” a ainsi travaillé sur un guide à la mobilité s’affranchissant du smartphone grâce à une lentille connectée capable de définir des itinéraires accessibles aux citoyen·ne·s se déplaçant en fauteuil roulant. Pour leur vision du parc du futur, “AstroCity” s’empare des données produites par les usager·e·s pour adapter les ambiances sonores et lumineuses, dans l’espoir de créer un espace sûr et inclusif.
La modularité comme réponse aux changements
La ville intelligente serait-elle capable de répondre aux problématiques de transitions ? De la définition d’un projet urbain à sa construction, les temps sont longs. Or, les différentes crises sanitaires, écologiques et économiques poussent les acteurs et les actrices de l’urbanisme à l’urgence, ce qui a poussé les participant·e·s à imaginer de nouveaux modèles urbains.
L’équipe “DiscoBike” s’est interrogée sur la place de l’automobile. La moitié de l’espace public parisien est aujourd’hui dédié à la voiture, alors qu’elle ne représente que 13 % des déplacements ! Plutôt que de parier sur les véhicules autonomes, qui impacterait tout autant le tissu urbain, les étudiant·e·s ont choisi de miser sur le vélo, en repensant totalement l’usage des râteliers qui deviennent de véritables stations services pour cyclistes.
Le projet “Legotopia” a choisi de pousser la modularité à l’extrême, en imaginant une ville totalement mobile qui déplace ses habitant·e·s selon leurs besoins pendant la nuit. Mais de cette proposition émerge de nouveaux problèmes. Comment repenser la vie de quartier ? Comment s’approprier un espace qui évolue de jour en jour ?
La convivialité, un besoin essentiel ?
Sans surprise, la convivialité est vite devenue une préoccupation centrale pour les participant·e·s. L’enquête CoviPrev a révélé que la santé mentale des Français·e·s s’est significativement dégradée depuis fin septembre 2020, avec une augmentation importante des états dépressifs pour l’ensemble de la population. Les différents confinements ont ainsi fait émerger des pratiques de détournement inattendues, comme la location de chien pour fournir un motif de sortie. Technique qui a inspiré les créateurs de “CHAAP”, un site de rencontre pour propriétaires de chats qui pourraient braver l’interdiction pour amener leur animal de compagnie à la fontaine la plus proche, transformée en arbre à chat végétalisée pour l’occasion.
Pour une grande partie des propositions, la réponse réside dans la culture. Tandis que “Boulang’Event” invite la programmation artistique à égayer les files d’attente devant les boulangeries, “Knowhere” tente de réinvestir les lieux délaissés avec les récits d’habitant·e·s anonymes. Pour “Holoseum”, la Smart city est l’occasion d’interroger les limites des galeries et musées qui peinent à attirer les publics profanes. C’est pourquoi elles et ils ont développé des bornes à hologrammes permettant de sortir les œuvres de leur carcan pour les exposer dans l’espace public. De quoi redéfinir la notion arbitraire de “biens essentiels” qui nous a été imposée en période de Covid-19 : le shopping et la consommation sont restés prioritaires au détriment de la culture et du vivre ensemble, raison pour laquelle “Pop’n’go” pousse le cynisme jusqu’à utiliser la statue de Jeanne d’Arc pour vendre des barbecues ! Ainsi, bien conscient·e·s que les pansements technologiques ne guérissent pas l’isolement, le numérique pourrait tout aussi bien inviter à la rencontre in situ.
MAIS COMMENT ON A FAIT ?
De la contrainte à la créativité
Après un accueil café dans les règles de l’art - en tout cas pour les étudiant·e·s en présentiel - les participant·e·s ont été introduits à la thématique de l’acupuncture urbaine et de la smart city via une présentation du Pavillon. A quoi ressemble une Smart City dans un projet d’architecte ? Inévitablement, un aller-retour s’installe entre réalité et science fiction, tant la ville du futur produit fantasmes et utopies.
Les équipes du Dôme ont imaginé un dispositif de médiation reposant sur la contrainte pour provoquer et inciter à la recherche de solutions originales. Réunis en dix équipes de douze, ce ne sont pas moins de 120 étudiant·e·s de Sciences Po et de l’ENSI qui ont dû se remuer les méninges pour s’adapter au défi. C’est ainsi que, mains moites et genoux tremblants, elles et ils se sont confronté·e·s à la roue de l’infortune : un ingénieux bricolage à base de roue de vélo et plaques en bois qui impose une thématique à l’équipe parmi lesquelles : la santé, la mobilité, se retrouver, culture & éducation, et acheter & consommer.
Comme si ce n’était pas suffisant, chaque groupe a dû tirer au sort des lieux à investir dans la ville : blocs bétons, statues, pylônes électriques, lampadaires, tombes, places de parking, … permettant de rentrer dans le sujet de “‘l’acupuncture urbaine”, une technique d’urbanisme consistant à agir sur le point névralgique d’un espace pour impacter le tout dans lequel il s’inscrit. Enfin, chaque groupe s’est encore une fois exposé au hasard via l’attribution d’un élément décalé à intégrer : adopter un bébé phoque, donner l’horoscope ou encore imiter l’odeur du chou fleur ! Autant d’ingrédients avec lesquels composer pour redéfinir l’usage d'objets urbains tels que les râteliers à vélo ou les fontaines, de potentiels activateurs des espaces sur lesquels ils s’implantent. Dans un contexte de lutte contre l’étalement urbain, le véritable challenge consiste à reconstruire la ville sur elle-même !
Ensemble, mais séparément
Les étudiant·e·s ne sont pas les seul·e·s à s’être confronté·e·s à un challenge. La situation inédite a poussé les équipes du Dôme à imaginer une organisation hybride entre présentiel et distanciel. Les membres de chaque équipe étaient répartis sur différents sites de l’agglomération caennaise : tandis que les équipes de l’ENSICAEN étaient répartis parmis dix de leurs salles, leurs camarades du Campus des transitions étaient réunis au Dôme, dans le respect des règles de distanciation.
Pour les réunir virtuellement, les organisateurs ont déployé un arsenal d’outils en ligne :
Un espace team propre à chaque équipe leur permettait d’échanger via visioconférence, messageries et partage de fichiers.
Un pad pour déposer à la volée liens et informations à destination de l’ensemble des groupes.
Une visio permanente, sur grand écran, servait d’interface lors des temps collectifs.
Un espace de gestion pour relier les membres du Dôme et les enseignant·e·s
Enfin, en présentiel, les personnels du Dôme composés référents techniques en créativité, informatique, Fab Lab et communication ont accompagné les étudiant·e·s tout au long de la semaine
Un compromis entre notre volonté de ne pas abdiquer face aux contraintes de la crise tout en revendiquant notre souhait de trouver des solutions permettant de réaliser de véritables expériences collectives.
Un grand merci à tous les participant·e·s !
Crédits : ENSICAEN