Sylvain Garnavault : Un jongleur au FabLab

Publié par Guillaume Dupuy, le 21 octobre 2013   1.7k

Le FabLab Caen Normandie accueille de plus en plus de personnes qui y trouve des moyens pour développer leurs projets. Parmi ceux-ci, on trouve Sylvain Garnavault qui imagine des accessoires de jonglerie intelligents.

Bonjour, Sylvain. Une première question très simple : qui es-tu ?

Bonjour. Je suis jongleur. C’est mon métier à plein temps. A triple temps même parfois ! Au départ, mon parcours est plutôt scientifique (mathématiques et informatique). Je dis “au départ” parce que je me suis très rapidement rendu compte que la fac n’était pas faite pour moi. Je me suis alors intéressé à la jonglerie qui m’a séduit par ses aspects mathématiques et j’ai rejoint deux compagnies, “Les Objets Volants” et les “Gandini Juggling”, qui m’ont offert une place sur scène et confiés des activités annexes telles que la programmation de balles électroniques. En 2007, j’ai créé la Compagnie “Parabole” pour développer mes propres projets et notamment essayer d’aller plus loin dans les champs du multimédia et de l’interactivité.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Nous travaillons sur un nouveau spectacle intitulé “Interfaces”. C’est notre second gros projet après “Échos, Reflets, Nuances” que nous avons abouti il y a environ un an. Ce premier spectacle exploitait déjà le multimédia mais dans une forme pré-calculée. Avec “Interfaces”, nous voulons passer au niveau supérieur en utilisant le jonglage comme élément de contrôle multimédia.

C’est-à-dire ?

Nous cherchons comment les interactions entre les différents éléments présents lors d’un spectacle (l’artiste, les objets et le public) peuvent permettre de générer en temps réel du son, de l’image ou de la vidéo. L’idée étant de rendre visible au public toutes les finesses du jonglage qui lui restent imperceptibles. Nous développons pour cela des dispositifs technologiques qui vont permettre de produire un maximum d’éléments du spectacle en temps réel. Ainsi, chaque représentation sera différente en fonction de l’état de forme du jongleur, de son humeur… et de celle du public !

Quel est le rapport entre ce spectacle et le FabLab où nous nous trouvons ?

Nous développons des accessoires de jonglerie intelligents. Comme je le disais tout à l’heure, j’ai travaillé avec les “Gandini Juggling” sur des balles électroniques. Le problème est que ces balles ne sont pas adaptées au spectacle. Du coup, lassés de développer des logiciels pour pallier à leurs manques, nous avons sauté le pas et nous nous sommes dit : pourquoi ne pas fabriquer nos propres balles ?

La partie électronique est basée sur l’Arduino. Une personne dans la compagnie maîtrisait bien ce système, moi je ne connaissais que de nom. J’ai donc profité d’une session au FabLab Caen Normandie pour me former. Le fait que je sache aujourd’hui comment l’Arduino fonctionne nous a permis de mieux discuter avec mon équipier et même de nous répartir les tâches.
Nous devons également développer la coque de la balle. Les tests que nous avons réalisé avec les balles du commerce n’ont pas fonctionné. On a donc fini par faire imprimer les coques par des imprimantes 3D. Le premier prototype a été réalisé au FabLab de Grenoble, le second au FabLab de Caen. Un troisième prototype sera prochainement réalisé avec de nouvelles modifications. C’est tout l’avantage du prototypage rapide : avant de partir sur un moule très coûteux, on fait des essais, on avance au fur et à mesure. On va peut-être avoir 5 ou 6 prototypes au final et, une fois que l’on sera fixé, on fera réaliser le moule définitif.

Quelle est le rôle de ces objets dans ton spectacle ?

Les jongleurs entraînés captent naturellement ce qui se passe lors d’un numéro, ils développent une espèce de conscience qui n’est pas focalisée sur un objet particulier mais sur le mouvement d’ensemble. C’est cette capacité d’analyse que nous cherchons à reproduire avec nos balles et leurs capteurs.

Il y a des moments importants dans le jonglage comme les apogées. Ce moment où la balle atteint sa hauteur maximale avant de redescendre est toujours très clair pour le public. Le fait de pouvoir détecter cet instant précis grâce aux capteurs embarqués va nous permettre de dépasser le simple aspect visuel de la figure pour produire autre chose comme des accords musicaux.

On pourra également rendre visible des phénomènes imperceptibles. Il existe, par exemple, des jonglages durs et d’autres plus doux en fonction de la force avec laquelle la balle tape dans la main. En temps normal, cette sensibilité ne peut pas être ressentie par le public. Par contre, il est facile de trouver en musique des éléments durs ou doux compréhensible de tous. Avec notre dispositif, nous allons pouvoir enregistrer les données relatives à la force du contact et le transcrire en une information musicale plus accessible au public. Cela amène pour moi une autre manière de jongler…

Justement, on comprend bien ce qu’apporte ce dispositif au public mais au jongleur ?

Cela va tout d’abord développer ma pratique de jonglage. En les rendant accessibles au public, le dispositif va me permettre de me concentrer sur des éléments auxquels je n’aurais pas ou peu prêté attention habituellement. Ces objets communicants vont également m’aider à progresser dans mon jonglage : si chacun de mes gestes est associé à un son, je vais être obligé d’être plus précis pour que le son soit beau. On pourrait aller beaucoup plus loin en faisant de ce système un facilitateur d’apprentissage pour des gens qui n’ont jamais jonglé. Mettre à disposition du public des éléments interactifs avant et après le spectacle est également l’une des pistes que nous explorons.

Quelles autres pistes explorez-vous ?

Le FabLab m’a fait découvrir le dispositif “Pupil”. Il s’agit d’un dispositf open source d’eye-tracking qui a été développé par deux étudiants du MIT. Dans les grandes lignes, il s’agit d’une paire de lunettes conçue avec une imprimante 3D et équipée de 2 caméras qui lui permettent de faire un suivi des mouvements de l’oeil pour déterminer ce que le porteur regarde.

La coordination occulo-motrice est une chose essentielle en jonglage. Disposer d’un système tel que “Pupil” m’a semblé donc totalement pertinent pour “Interfaces”. Ce système pourrait nous permettre de mettre en scène les interactions entre les artistes sur scène, d’animer un objet d’un simple coup d’oeil ou encore de modifier les lumières de scène en fonction des centres d’intérêt visuel du public… Pour l’instant, tout cela est totalement hypothétique. Il faut d’abord que nos objets fonctionnent !