Tapisserie de Bayeux : l’œuvre millénaire, version numérique

Publié par UNICAEN Normandie, le 24 janvier 2019   2.5k

La numérisation de la Tapisserie de Bayeux, en 2017, marque le point de départ d’un plus vaste projet : créer une plateforme numérique qui facilite l'étude de la tapisserie médiévale et qui indexe toute la documentation existante et à venir. Un projet hors norme… à la mesure de l’immensité de l’œuvre.

Un panorama complet de la célèbre Tapisserie…

Chef d’œuvre de l’art roman du 11e siècle, la Tapisserie de Bayeux relate la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066, avec une foule d’informations originales sur la vie quotidienne et sur l'architecture civile et militaire au Moyen Âge, absentes des manuscrits contemporains. Le musée de la Tapisserie de Bayeux attire chaque année près de 400 000 visiteurs venus du monde entier. Un nouvel espace muséal est aujourd’hui à l’étude : c’est dans ce cadre que le projet de numérisation de la Tapisserie a vu le jour. L’objectif premier : déterminer l’état matériel de l’œuvre pour repenser les conditions de présentation et d’exposition dans le nouveau musée.

La captation de l’œuvre a été effectuée par La Fabrique de patrimoines en Normandie en 2017 selon plusieurs modalités d’éclairage - lumière de jour, ultraviolet, infrarouge, etc. Un travail colossal au regard des conditions difficiles de prise de vue, de la fragilité de l’œuvre et de ses dimensions exceptionnelles - 70 mètres de long, 50 centimètres de haut et pas moins de 350 kilos. Les images ont été confiées au CERTIC de l’université de Caen Normandie, responsable de ce volet numérique au sein du projet de futur musée de la Tapisserie de Bayeux. « Nous avons travaillé avec le GREYC, laboratoire normand des sciences du numérique, pour construire un panorama complet de l’œuvre, car aucune solution existante ne permettait une telle opération », précise Arnaud Daret, responsable du CERTIC. « Nous avons été rapidement confrontés à des problématiques de traitement de ces multiples images numérisées. Comment travailler et assembler un tel nombre d’images sans intervention manuelle ? Comment corriger les défauts inévitables dus aux conditions d’éclairage et d’exposition compliquées ? Comment gommer les erreurs d’assemblage ? Comment obtenir un rendu qui reste parfaitement net et horizontal ? Comment produire plusieurs panoramas, utilisant des modalités d’éclairages différentes, mais parfaitement recalés entre eux ? L’expertise du GREYC a été indispensable pour répondre à ces questions ». Le GREYC et le CERTIC ont travaillé ensemble à l’élaboration d’un outil capable de générer automatiquement plusieurs représentations complètes de la Tapisserie à partir de ces clichés. Le résultat : une visualisation fluide de l’intégralité de la Tapisserie, avec une interface proposant différentes modalités d’éclairage, de déplacement et de zoom pour l’explorer sous tous les angles et dans les moindres détails.

… à des fins documentaires, scientifiques et patrimoniales

Mais l’ambition du projet est plus vaste : cette version numérique de la Tapisserie doit servir de référence pour tous les travaux de restauration et pour toutes les études scientifiques à venir. « Une plateforme numérique est en cours de création pour faciliter l’étude et l’analyse de l’œuvre, indique Arnaud Daret. Des restaurateurs, des conservateurs et des historiens ont été très tôt associés au projet pour que soit créé un outil qui réponde véritablement à leurs besoins ». Cette plateforme réunira l’ensemble des ressources documentaires existantes et à venir. C’est là qu’intervient l’expertise du Pôle Document Numérique de l’université de Caen Normandie. Plateforme d’ingénierie et pôle pluridisciplinaire de la Maison de la recherche en sciences humaines, le Pôle Document numérique est spécialisé dans le développement et la mise en œuvre d’outils numériques au service des données scientifiques et patrimoniales. « Notre travail consiste à établir la base de données documentaires qui sera intégrée à la plateforme numérique : le système d’information documentaire spatialisé », précise Julia Roger, ingénieure d’études au Pôle. « L’idée est de pouvoir localiser les ressources documentaires sur la représentation numérique de la Tapisserie, de la même manière qu’il est possible de trouver des informations sur une carte géographique numérique ou un GPS. L’utilisateur pourra naviguer sur la Tapisserie, sur laquelle auront été définies des zones d’intérêt. Ces zones peuvent, par exemple, relever de l’iconographie — chevaux, épées, ou encore bateaux — ou bien de l’état matériel — déchirures, tâches, trous. Il suffira de sélectionner l’une de ces zones pour faire remonter toute la documentation la concernant ».

Les restaurateurs auront ainsi à disposition un outil de suivi de l’état matériel de l’œuvre, comprenant notamment les données issues de la dernière grande expertise menée en 1982-1983 — photographies de l’endroit et de l’envers de la Tapisserie, rapports dactylographiés, annotations manuscrites sur la nature et la dimension des points de broderie etc. « Notre travail consiste à centraliser tous ces documents sur la plateforme numérique, précise Julia Roger. En fonction de leur nature, ils seront accessibles en mode image, mais aussi en mode texte, ce qui permettra notamment, de filtrer les recherches parmi toutes les ressources documentaires ». La base de données, qui contient actuellement 3 000 objets, sera régulièrement mise à jour. La communauté scientifique internationale aura ainsi accès à toute la documentation mondiale relative à la Tapisserie. Les historiens auront la possibilité de sélectionner manuellement des zones d’intérêt, les annoter, les exporter sous formes d’images et les stocker dans un espace de travail personnalisé.

À l’heure où les discussions sur l’éventualité d’un prêt à la Grande-Bretagne sont en cours, cette cartographie numérique contribue à documenter l’état matériel de l’œuvre pour permettre aux parties prenantes de se prononcer sur la possibilité d’un déplacement de l’autre côté de la Manche pendant la période de travaux du futur musée. Cette version numérique ne se substitue en aucun cas à l’accès direct à l’œuvre originale qui trouvera sa place, aux alentours de 2025, dans le nouveau musée. Ce projet, qui associe de nombreux partenaires institutionnels et scientifiques, constitue un bel exemple de collaboration interdisciplinaire pour favoriser le dialogue autour d’un objet patrimonial.

  

Le projet est piloté par la Ville de Bayeux et la Direction régionale des affaires culturelles de Normandie, en partenariat avec :

 

Un article à retrouver dans le numéro 8 de Prisme, le journal de la recherche UNICAEN


Légende : © Scène n°12. Détail de la Tapisserie de Bayeux - XIe siècle. Avec autorisation spéciale de la Ville de Bayeux