Un an d'innovation ouverte sur l'habitat collectif

Publié par François Millet, le 10 juin 2018   4.6k

Depuis Juin 2017, ce sont près de 1 000 personnes qui ont été impliquées ou sollicitées dans le cadre d’un parcours d’innovation ouverte dédié aux nouveaux usages et services partagés de l’habitat collectif. Restitution de la démarche et bilan avec son principal instigateur : Caen la mer Habitat.

VILLE ET HABITAT :
ENJEUX ET ESPACES D'INNOVATION COLLECTIVE

À l’heure où la question du “mieux vivre ensemble” est de tous les débats, les regards se portent sur les espaces collectifs qui cristallisent nombre de défis : sécurité, maîtrise de l’urbanisation, lutte contre l’exclusion, environnement et développement durable, démocratie locale... L'un des enjeux majeurs de l’évolution d’un espace urbain réside donc dans sa capacité à réinventer ses espaces partagés comme des lieux collaboratifs, source de créativité et d'innovation.

Est-ce un hasard si cette notion même “d’espaces partagés” a une connotation morale ? Elle réfère à un idéal de communauté fraternelle, en opposition à l’entre-soi et au communautarisme. Il y a comme un sens enchanté que l’on donne à ce terme “d’espaces partagés”, que l’on retrouve dans des expressions comme “la vie de quartier”, et qui semble incarner les liens qui font tenir ensemble une collectivité dans l’harmonie et la durée. C’est ainsi que localement, les villes et les habitations s’enrichissent de nouveaux espaces dédiés au partage et aux usages collectifs : jardins et véhicules partagés, tiers-lieux, éco-quartiers, échanges de compétences, mutualisation d’espaces, modularité de l’habitat et des services, ...

Par ailleurs, nous ne vivrons pas demain comme nous le faisons aujourd’hui. Capteur, intelligence artificielle, robotique, données, réalité virtuelle, objets connectés, … participent et bousculent souvent nos représentations et les évolutions de nos environnements quotidiens. Et si nous partagions des robots agriculteurs ou des ruches connectées ? Si nous pouvions aménager nos logements grâce à la réalité virtuelle ? Et si les mobiliers devenaient des objets intelligents capables de faciliter la vie de personnes isolées ? Comment nos déplacements individuels et collectifs seront-ils portés par nous, seuls ou collectivement ? Et si le futur ne passait pas uniquement par les nouvelles technologies ?

C’est fort de ces constats et de son rôle dans l’émergence et la mise en oeuvre d’innovations dans l’habitat collectif, que Caen la mer Habitat, premier bailleur social de l’agglomération caennaise, est venu rencontrer Le Dôme pour organiser un parcours d'innovation ouverte baptisé "Hab'ility". Objectif : imaginer comment entrer en dialogue sur ces sujets avec ses usagers actuels, futurs et plus largement la population. En effet, avec un patrimoine de plus de 10 000 logements familiaux, près de 550 logements en résidences pour personnes âgées et 580 logements en résidences étudiantes, Caen la mer Habitat loge près d’un quart de la population caennaise.

UN PARCOURS
D'INNOVATION AVEC LA POPULATION

La proposition faite par Le Dôme consistait en l’organisation de manifestations et d’ateliers à l’attention du grand public impliquant également des entreprises technologiques, des chercheurs, l’enseignement supérieur et des communautés créatives. 

Chaque rencontre constituant une nouvelle étape vers le prototypage d’objets, d’outils et de services. Chacun de ces temps faisait également l’objet d’une restitution sous la forme d’un document de synthèse des idées et scénarios ou usages imaginés. L’ensemble de ce parcours était baptisé Hab’ility. Tout du long, il a été question d’informer et sensibiliser les participants par la rencontre et le dialogue avec des experts et parties prenantes.

#1/ HAB'ILITY DAY : SÉANCE DE LANCEMENT

Organisée en partenariat avec le Pôle TES et Keolis Caen, 350 personnes se sont mobilisées sur cette première journée dont un objectif était de permettre aux publics de rencontrer et questionner des acteurs de la recherche et de l’innovation, que ce soit sous la forme de stands ou de conférences, et ainsi de prendre connaissance et s’inspirer des initiatives déjà existantes sur le sujet.

Mais l’objectif principal était avant tout de faire émerger une cartographie des premières idées et contributions des publics sur le sujet. Pour cela, plusieurs ateliers étaient proposés.

Des ateliers "Habiter ensemble demain" pour imaginer et décrire les usages, les services, les espaces, les objets qui peupleront peut-être nos villes et nos habitats demain. Des ateliers "Mobilidées" pour imaginer et exprimer ce que le public attend d’un voyageur connecté, d’un dialogue entre habitat et mobilité, pour l’accessibilité ou lorsque le trafic est perturbé. En s’appuyant sur ses expériences en cours, Territoires pionniers - Maison de l'architecture de Normandie animait deux ateliers collaboratifs et créatifs interrogeant la place et le rôle des espaces publics, mais surtout les usages et les échanges dont ils pourraient s’enrichir demain.

Enfin, dans une dimension "Do It Yourself", deux ateliers sur le prototypage d’une serre connectée open source étaient proposés, ainsi que deux sessions de Carto Party, animées par Carto'Cité, l’occasion de découvrir les outils et méthodes de cartographie participative, de rejoindre une communauté internationale de “cartographes amateurs” et surtout de déterminer comment un outil cartographique permet d’envisager autrement son habitat, son quartier et sa ville. 

Journée fédératrice et symbolique, cette journée constitue déjà un temps collectif. L’ensemble de ces ateliers ont fait l’objet d’une restitution complète.

#2/ FOIRE INTERNATIONALE DE CAEN

En s’appuyant sur les visuels de synthèse réalisé après la journée du 24 juin, les premières idées ont été testées et enrichies lors de la Foire internationale de Caen, au sein d’une espace consacré à l’innovation et aux collectivités. Manifestation avec un public de masse, ce retour rapide auprès d'une large population a permis avant tout de conforter les pistes et les idées soumises lors des ateliers.

Visuel de synthèse présenté sur la Foire de Caen.
Visuel de synthèse présenté lors de la Foire internationale de Caen (Crédits : Le Dôme/Casus Belli)

#3/ LE TURFU FESTIVAL 2017

Un travail pour préciser et affiner les propositions a été organisé pendant le "TURFU Festival". Pour cette phase d’exploration, visant à organiser les idées en scénario d’usages plus précis, les publics mobilisés étaient des lycéens et étudiants. L’objectif était d’identifier quels usages et idées ces nouveaux et futurs habitants pouvaient proposer. Le principe de cette phase d’expérimentation était de faire appel à l’expertise du vécu de ces participants usagers pour identifier les services les plus pertinents.

Au terme de ces deux séances, des thématiques ont pu être resserrées et l’intégralité des productions ont également fait l’objet d’une restitution.

#4/ LA SEMAINE INTENSIVE 2018

Tous les ans, début janvier et pendant 5 jours, une centaine d’élèves-ingénieurs et d’étudiants caennais se réunissent par équipe pour un challenge sur le thème de la ville et de l’habitat de demain. 

Organisé avec l’Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de Caen (ENSICAEN) et Normandie Aménagement, cette nouvelle édition s’est emparée des scénarios issus des séances précédentes pour proposer les thèmes suivant aux équipes :

  • Comment pourrait-on envisager le logement comme un service ?
    Comment faciliter l’accès de cette population au logement en répondant à leurs problématiques de mobilité lié au stage ou emploi en alternance ? Comme faciliter les recherches de mutualisation des coûts et des charges à l’image des co-location ?  Comment intégrer dans cette démarche les recherches de lien social, d’offre « internationale », de services partagés… ? Enfin, quels usages et services permettraient ces critères spécifiques de recherche de logement avec un accompagnement aux démarches administratives, et pas nécessairement celles liées au logement ?
  • Quels usages et services pouvons nous imaginer pour permettre une co-gestion des résidences par les habitants ?
    Quel système permettrait d’aller plus loin que les plateformes d’échange existantes (compétences, services, équipements…), en développant un outil facilitant l’organisation coopérative de la vie d’une résidence ? En dehors du partage et de la gestion des espaces, comment de tels services pourraient intégrer la co-gestion d’équipements immobiles (équipement fixe de type électroménager), des équipements mobiles (outil, véhicule), ainsi que les consommables et ressources associées ?
  • Comment envisager une gamification qui participe à sécuriser l’exploration urbaine ?
    Comment - sans verser dans une pédagogie littérale, mais en empruntant aux leviers du jeu, des émotions, de la poésie, de l’engagement des usagers par le plaisir du jeu ou du challenge - peut-on faciliter l’appropriation et la déambulation sécurisées d’un espace urbain partagé ?
  • De l’écran classique intégré au mobilier, à la reconnaissance vocale en passant par des dispositifs connectés dissimulés dans l’environnement urbain, comment avoir accès à un ensemble de services sans smartphone ?
    Comment envisager le droit à la connexion et la déconnexion ainsi que le droit à l'information en zones blanches ? Quels nouveaux liens à la collectivité, l’espace et le mobilier urbain, collectif et partagé peut-il proposer ? Comment envisager la production, la gestion et l’accès aux données personnelles dans de telles conditions ?
  • Quelle place au collectif dans la gestion d’un espace cultivé en milieu urbain ?
    Outre la production de nourriture, quels autres services et usages - formation, social, pédagogique, environnemental, ... - peuvent fournir des espaces cultivés et partagés en milieu urbain ? Quels services et usages numériques peut-on envisager d’associer à des espaces urbains cultivés pour en assurer l’appropriation, l’acceptation et la pérennité ?

9 équipes, constituées d’élèves de l'ENSICAEN, de l’Université de Caen Normandie, de l'Ecole Brassart et de l’Institut des métiers de l'architecture et du design (IMAD), ont tiré au sort l’une de ces thématiques et ont commencé à proposer une solution en s’appuyant sur les idées et les pistes d’usages proposés lors des précédents ateliers. À la fin de la semaine, ils ont pu installer leur 9 prototypes en démonstration au Dôme. Chaque prototype devait être accompagné : d’un visuel d’accroche vulgarisant le principe et le volet technique du projet, d’une notice de fonctionnement et d’une fiche argumentant les enjeux et la solution proposé s’appuyant notamment sur la production de valeur du projet.

QUELLE PRODUCTION DE CONNAISSANCES,
DE VALEURS SOCIALES ET D'AFFAIRES ?

En terme de connaissance, une somme importante d’idées, de scénarios et de prototypes a été produite et diffusée. Les propositions restent convenues mais elles viennent confirmer certaines pistes de travail imaginées par Caen la mer Habitat. Elles ont également permis de faire émerger certaines problématiques liées spécifiquement aux étudiants en stage ou en alternance.

Ce faisant, l’ensemble des participants à ce parcours a pu être sensibilisé et informé. Ils ont questionné les enjeux de l’habitat collectif et partagé, et plus généralement l’émergence des services d’usages et de l’économie du partage.

Enfin, l’ensemble des participants revendique que ce parcours a été l’occasion de s'acculturer à la démarche participative, de découvrir des méthodologies de co-création, de co-conception et co-prototypage. Pour certains, ce fut également un premier contact avec les machines du FabLab du Dôme.

En terme de collaboration et de valeur sociale, ce parcours a créé les conditions de dialogue entre des publics et des parties prenantes qui n’auraient pas l’occasion de se rencontrer, d’imaginer et de faire ensemble. Qu’est-ce qu’un codeur, un maker, un développeur, un graphiste, un bailleur social, un architecte, … ? Chaque étape du parcours a été l’occasion de dépasser ses représentations et idées reçues, tant pour les publics que pour les partenaires, tous étant participants.

Le point faible reste le dialogue avec les habitants qui n’a pu être maintenu étroitement durant le parcours. Reste que cette première expérience a permis de mieux armer et préparer Caen la mer Habitat dans la mise en place d’un groupe Résidence Participative où des habitants sont aujourd'hui pleinement actifs.

Caen la mer Habitat est aujourd’hui pleinement identifié sur le territoire  comme un acteur de l’innovation. L’agence est mobilisée dans l’élaboration de programmes expérimentaux et innovants sur le maintien à domicile. Le travail sur la réalisation d'une résidence participative est en cours et bénéficie de la méthodologie lancée avec Le Dôme. Le programme a donc ouvert de nouvelles pistes de mobilisation de moyens pour continuer ses projets et lui permet aujourd’hui de prototyper de nouvelles offres de services.

ET MAINTENANT ?

La démarche a largement eu pour effet de légitimer la pertinence et la qualité de Caen la mer Habitat en tant qu’acteur territorial de l’innovation ouverte. Au terme de ce parcours d’innovation, le bailleur envisage de lancer une démarche permettant d'enrichir ou, pourquoi pas, de conforter les prototypes réalisés lors de la Semaine intensive, d’en financer le développement et de le mettre en test dans l’une de ses résidences, à l'image de l'appel à projets "Hab'ility Go".

Caen la mer Habitat est également associé au côté d’autres acteurs de l’innovation et de la recherche, dont Le Dôme, à l’élaboration de programme autour de la e-santé. Il devient un interlocuteur et partenaire pour de prochains parcours d’innovation ouverte avec Le Dôme et sera de nouveau présent et co-porteur de la prochaine édition de la Semaine intensive en janvier 2019.




illustration couverture - Casus Belli