ARTÉMIS : La transition énergétique et l'hydrogène imaginés par les normand·e·s
Publié par Pauline Ducoulombier, le 9 juin 2020 2.4k
Dans le cadre du parcours d'exploration "Transition énergétique et hydrogène", Le Dôme participe au programme de recherche "ARTÉMIS", porté par les Universités de Caen, de Rouen et du Havre Normandie et financé par la Région Normandie, qui vise à travailler sur les questions d’acceptabilité des projets hydrogène par les citoyens sur le territoire normand.
par Rudy Amand (MRSH/CERREV), Marion Brosseau (ANBDD),
Pauline Ducoulombier et François Millet (Le Dôme).
Le projet “Approche Régionale pour une Transition Énergétique Mixte Industrielle et Sociétale” (ARTÉMIS) s’inscrit dans le prolongement du programme de recherche “Transitions Énergétique Territoire Hydrogène et Société” (TÉTHYS) engagé depuis 2017 avec le soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et qui questionne la « mise en démocratie » de la transition énergétique à l’échelle territoriale (Normandie, Bourgogne, Côte d’Azur).
ARTÉMIS, en se focalisant sur la Normandie, cherche à permettre l’appropriation des enjeux liés à la place de l’hydrogène dans la transition énergétique par le public afin que ce dernier élabore des solutions imaginées lors d’ateliers participatifs associant également des experts et des chercheurs. L’ensemble concourant ‒ via un dispositif innovant basée sur la démarche living lab déjà documentée par ailleurs ‒ à la poursuite de l’idéal de co-conception censé rompre avec la logique hiérarchique de l’acceptabilité sociale qui voit parfois les promoteurs d’une technologie ou d’une politique chercher à imposer des projets déjà stabilisés à ceux qui sont identifiés comme leurs futurs usagers ou bénéficiaires.
Nous vous proposons de revenir sur quelques temps forts de ce projet : les conférences à destination des entrepreneurs et des élus du territoire qui se sont déroulées en juin et novembre 2019 animées par l’Agence Normande de la Biodiversité et du Développement Durable puis sur les ateliers “hors-les-murs” qui se sont déroulés entre septembre 2019 et février 2020 dans différents lieux situés en Normandie. Ce retour permettra d’initier une réflexion sur le dispositif mis en oeuvre qui aura permis de réunir 137 personnes autour de la problématique abordée, mais aussi sur le degré d’appropriation de l’hydrogène sur le territoire régional.
Les conférences participatives
Retrouver ici l’article de restitution “Entreprises en Normandie : se développer et innover avec l’hydrogène”
Organisées parallèlement aux ateliers “hors-les-murs”, les conférences participatives animées par l’Agence régionale de la biodiversité et du développement durable (ANBDD), ont visé deux grandes catégories d’acteurs et d’actrices du territoire : les entreprises (le 25 juin 2019) et les collectivités (le 26 novembre 2020) car ce sont elles qui apparaissaient comme étant les plus à même d’impulser des dynamiques locales autour du stockage de l’énergie par l’hydrogène.
Pour initier la réflexion, des chercheur·se·s et des porteur·se·s de projet qui travaillent au développement de ce vecteur énergétique ont été sollicités afin d’apporter leurs connaissances et de nourrir les débats qui n’ont pas manqué de naître :
Quelles sont les méthodes pour produire l’hydrogène ?
Son stockage est il envisageable à l’échelle d’une entreprise ou d’une collectivité ?
Quels en sont les usages possibles en entreprise et sur un territoire?
Quels liens entre les énergies renouvelables et l’hydrogène ?
Autant de questions qui ont pu trouver leurs réponses lors des différentes présentations qui ont été faites par les invité·e·s :
David HONORE, Maître de conférences à l’INSA (Rouen), en charge du projet de recherche “RAPHYD” qui expérimente la production d’hydrogène vert à partir de ressources renouvelables, les procédés de photocatalyse et les possibilités d’utilisation de l'hydrogène comme combustible ;
Raffaele PETRONE, Maître de conférences au LUSAC (Cherbourg) et spécialiste des questions de stockage de l'énergie électrique ;
Aude HUMBERT, Cheffe de projet au sein de la société H2V Industry qui a un projet de production massive d’hydrogène vert par électrolyse de l’eau à base d’énergie certifiée 100% renouvelable en Seine-Maritime ;
Vincent CALLEJA, Fondateur deT.H2(Orne) qui a pour ambition de développer la production d’hydrogène à partir des résidus de bois.
À titre d’exemple, il a été mis en évidence que la majeur partie de l’hydrogène produit est aujourd’hui issu du gaz naturel, du charbon ou encore du pétrole. Des innovations ‒ comme celle de T.H2 ‒ permettent alors d’éviter un non-sens énergétique, qui consiste à consommer des énergies au bilan carbone élevé pour produire de l’hydrogène. Dans son entreprise de fabrication de glissières de sécurité routière en bois, Vincent Calleja a repensé le process de façon circulaire en choisissant d’utiliser la biomasse résiduelle, 20 000 tonnes par an de déchets de bois non traité, pour produire de l’hydrogène par gazéification. Mais encore faut-il trouver des débouchées sur un territoire de proximité !
Les retours d’expérience proposées par les intervenants lors des conférences auront permis aux 58 participants de s’approprier les modalités de la production, du stockage et des usages possibles de l’hydrogène et ce à différentes échelles. Les personnes présentes auront également pu mesurer l’importance de constituer un maillage d’acteurs sur un territoire pour ouvrir davantage le champ des possibles et inciter chacun-e, entreprise, collectivité et particulier, à se lancer dans l’aventure de l’hydrogène !
Les ateliers hors-les-murs
Parallèlement à ces conférences, des ateliers participatifs ont également été menés à destination d’un public plus large. Ces ateliers “hors-les-murs” (organisés en dehors du Dôme, ndlr) visaient à questionner les participant·e·s sur les usages possibles de l'hydrogène en Normandie.
Afin de bien identifier leurs objectifs, il est utile de revenir sur les manques identifiés lors des différentes phases du Living Lab organisé dans le cadre de TÉTHYS. Malgré leur réussite certaine ‒ que la mise à l’eau prochaine de “Léon le robot-nettoyeur” permet de mesurer ‒, il était apparu que les ateliers TÉTHYS n’avaient pas toujours permis de toucher des participant·e·s aux profils hétéroclytes et que les expert·e·s mobilisé·e·s ‒ très investi·e·s dans la réussite de la transition énergétique ‒ avaient parfois tendance à réaliser une présentation de leurs propres projets finalisés au détriment d’une mise à disposition de leurs compétences au service des scénarios élaborés par les participants. En partie pour ces raisons, la dimension technique de l’hydrogène avait quelque peu supplanté le questionnement d’ordre politique qui pouvait être associé à la transition énergétique.
Afin d’améliorer le procédé, les organisateurs ont décidé d’agir à différents niveaux.
Le premier d’entre eux a consisté à identifier des communes aux caractéristiques variées pour accueillir les ateliers : une ville moyenne (Vire, Calvados), engagée dans la démarche de labellisation “Cit’ergie” et candidate à l’accueil d’une station hydrogène dans le cadre du programme “EAS-HyMob”, une commune réputée pour ses engagements en matière de transition énergétique et intégrée à la métropole rouennaise (Malaunay, Seine-Maritime), une petite commune rurale (Maizet, Calvados). Un quatrième atelier était prévu dans un quartier populaire d’une grande agglomération de la région mais n’a pu être menée à cause de la crise sanitaire liée à la COVID-19.
En outre, et c’est le second niveau, les organisateurs ont fait le choix de s’appuyer sur des acteurs et actrices locaux qui, de prime abord, n’apparaissent pas en lien direct avec la transition énergétique pour deux des trois ateliers : une association culturelle à Vire et un agriculteur qui avait participé aux “Mercredis de l’hydrogène” pour Maizet. Ce choix résulte d’une hypothèse : en s’appuyant sur des acteurs de la société civile, la population mobilisée ne s’inscrirait pas nécessairement dans les réseaux habituels associés aux acteurs de la transition énergétique et le public des ateliers serait, dès lors, moins homogène que lors des événements précédents.
Une autre piste d’intervention explorée a consisté à mobiliser un expert venu d’un horizon moins conventionnel pour l’atelier organisé à Vire dans le but de rompre avec la dynamique “descendante” de l’expertise. Le choix s’est ainsi porté sur un “bricoleur de l’hydrogène” dont le projet s’inscrit en marge des innovations portées par les entreprises et les collectivités. En effet, le procédé élaboré par ce bricoleur est fortement décentralisé et convivial dans la mesure où il consiste à produire de l’hydrogène à partir de panneaux photovoltaïques installés sur le toit d’une habitation. Il est “convivial” au sens donné par le philosophe Ivan Illich à la notion. Elle s’applique à des outils appropriables qui permettent d’accroître l’autonomie des utilisateurs. Si pour les ateliers de Malaunay (présentation du projet DEPLHY) et de Maizet (projet T.H2) des expert·e·s lié·e·s à des projets institutionnels ont apporté leur contribution, des outils ont été mis en oeuvre afin de rééquilibrer le rapport de force entre elles, eux et les participant·e·s. Parmi ceux-ci, une carte de la Normandie a été intégrée aux documents servant de supports à la rédaction des scénarios. Aussi simple que cela puisse paraître, ce procédé permettait aux participant·e·s de rattacher leur projet à un espace vécu, un territoire qu’ils éprouvent au quotidien et pour lequel ils ont développé des savoirs d’usage opposables aux projets des professionnel·le|s et élu·e·s.
Le dernier niveau d’intervention a consisté à expliciter l’un des enjeux principaux liés à la transition énergétique : le changement climatique. Les entretiens à visée sociologique réalisés dans le cadre du projet “ARTÉMIS” avaient, en amont, permis d’identifier que la peur de l’effondrement de la société, même si elle était exprimée selon des modalités différentes, était présente chez tous les individus. Aussi, il a semblé pertinent de réactiver cette émotion chez les participant·e·s au moment où ces derniers élaboraient les scénarios associant transition énergétique et hydrogène. Ce rappel s’articulant autour d’une présentation de quelques-uns des principaux récits de transition : les outils techniques peuvent-ils nous prémunir du changement climatique ? Devons-nous explorer de nouvelles planètes pour assurer la survie de l’espèce humaine ? Allons-nous devoir vivre dans un monde post-apocalyptique ? Une transition vers une société sobre et heureuse était-elle encore envisageable ?
Ces différentes modifications apportées à la trame des ateliers a permis de nourrir les réflexions des participant·e·s qui ont accordé moins d’importance à la dimension technique de l’hydrogène pour se focaliser sur le contexte de son déploiement. C’est ce que tendent à démontrer les nuages de mots réalisés à partir des manuscrits produits par les participant·e·s aux ateliers (figure 1). Si les occurrences attachées à l’hydrogène apparaissent en bonne place pour les ateliers “élu·e·s”, “agriculture” et “ruralité” organisés au Dôme, elles se font plus rares dans les ateliers hors-les-murs. “L’eau” et le “Transport” s’y affirment comme des problématiques plus centrales à Vire à l’image des termes comme “Social” (Malaunay) ou “Local” (Maizet).
Bien que le niveau d’analyse à ce stade ne soit qu’assez sommaire, ces nuages permettent d’esquisser deux pistes. D’abord, au niveau de la démarche Living Lab : la nécessité de trouver des outils adéquats permettant une mise à l’épreuve de l’expertise par les participant·e·s apparaît tout à fait centrale. A titre d’exemple, les cartes permettant de situer les scénarios sur un territoire précis ont permis aux contributeurs de s’appuyer sur leur expérience de cet environnement pour dévoiler les savoirs d’usage utiles au rééquilibrage entre la question technique liée à l’hydrogène et celle plus politique de la transition. Ensuite, au niveau même de la problématique des projets “ARTÉMIS” et “TÉTHYS” : sur les territoires investis dans la cadre des ateliers hors-les-murs, l’hydrogène apparaît comme secondaire par rapport à d’autres problématiques et d’autres solutions en matière d’énergie. Cela pourrait signifier ‒ et c’est une hypothèse que la recherche sociologique devra explorer ‒ que le déploiement de l’hydrogène en Normandie ne s’effectuerait pas selon une logique aussi décentralisée et territorialisée que les promesses associées à ce vecteur énergétique pouvaient le laisser espérer.
Pourquoi documente-t-on la recherche participative?
Du carnet des premiers explorateurs à la revue scientifique, décrire, témoigner et rendre compte de la pratique et de l’expérimentation fait partie de la démarche scientifique. La pratique de l’article, de la “parution” et de la “communication scientifique” font donc partie de l’exercice de la recherche, dotés de ses codes et de la méthodologie qui confèrent rigueur et approche rationnelle aux sciences et techniques. Mais elles ont aussi leurs temps propres et leur accessibilité pour le plus grand nombre ne fait pas partie de leur caractéristique, voire de leur finalité. L’accès aux données et à la matière brute des expérimentations ne font pas non plus partie de la culture dominante dans le monde de la recherche. Le Dôme s’est donc chargé d’un important travail de recueil et de documentation de l’ensembles ateliers.
Rendre compte de ce qui s’est passé ‒ établir le profil des participants, revenir sur ce qui s’y est dit et sur ce que s’y est fait ‒ représentent des données pour les chercheur·se·s qui vont utiliser cette photographie de la société prise à un instant T. Est-ce qu’un atelier sur la “Transition énergétique en milieu rural” qui se déroule en pleine crise des gilets jaunes aurait eu le même contenu s’il avait été organisé six mois plus tôt ? Il est fortement probable que non, mais le travail du ou de la chercheur·se consistera à faire la part entre les dispositions des acteurs et actrices qui s’établissent sur le temps long et les éléments de contexte (actualité mais aussi organisation des ateliers eux-mêmes) qui aboutissent à des matériaux singuliers.
Mais la documentation poursuit un second objectif. Outre le matériau brut récolté à destination des chercheur·se·s, chaque atelier du programme “ARTÉMIS” a donné lieu à une restitution écrite qui a été envoyée par la suite aux participant·e·s. Ces restitutions décrivent le déroulé des ateliers, les outils utilisés, le profil des participant·e·s, les scénarios issus de l’atelier ainsi que les Open-badges délivrés. “ARTÉMIS” étant un programme de recherche régional visant à étudier l’appropriation de la transition énergétique à travers l’hydrogène par les normand·e·s, ces restitutions forment un recueil de ce que les participants se posent comme questions, quelles sont leurs envies, leurs inquiétudes, .... La parole donnée en atelier est donc entendue et partagée. Elle devient une véritable source d’informations pour le territoire.
Retrouvez les restitutions complètes des ateliers Artémis dans la rubrique Documents de cet article.
Ces idées n’appartiennent à personne, elles appartiennent à tout le monde
Imaginer le futur à plusieurs, c’est permettre une réflexion riche des expériences de chacun·e pour aboutir à des idées qui répondent au mieux au problème posé. Ces idées ayant été imaginées à plusieurs, elles ne peuvent appartenir à une seule personne, elles appartiennent donc à tout le monde. C’est une production de communs.
C’est pourquoi les scénarios d’usages, les prototypes ou encore les preuves de concept issues des démarches Living Lab sont partagés sous Licence “Creative Commons. Les idées, concepts, scénarios et objets réalisés à plusieurs sont restitués et attribués à l’ensemble des participant·e·s sous licence libre Creative Commons (CC-BY-SA).
Si chacun pourra s’en saisir sous la même Licence CC, personne ne pourra en avoir l’exclusivité. C’est-à-dire qu’un scénario ou un prototype peut être utilisé par une personne n’ayant pas participé à son élaboration, pour le reproduire ou l’enrichir. Mais elle ne pourra le faire que sous les mêmes conditions de partage de ses travaux. La licence CC-BY-SA signifie que le partage peut se faire si la source est citée et si les futurs travaux seront à leur tour partagés dans les mêmes conditions. Documentation et restitution constituent ainsi une “part” dont bénéficient les participant·e·s en rétribution de leur “part” apportée au projet.
Enfin, les restitutions et la documentation constituent des ressources qui rendent la démarche intelligible voire tangible pour le plus grand nombre. Elle constitue un outil pour faire comprendre la démarche et inciter de nouveaux publics à se joindre aux ateliers en levant certains freins ou flou conceptuels que peut revêtir le concept de recherche participative.
Documenter les ateliers s’avère donc essentiel pour la recherche mais également pour le travail de vulgarisation et d’information propre à la médiation scientifique et qui participe à justifier l’existence de centre de sciences comme Le Dôme. Dans le cadre de programme Living Lab, cette documentation revêt des intention et produit un valeur complémentaire comme l’ouverture des données, la reconnaissance des participants et la production de communs.
Les restitutions graphiques
Restitutions graphiques des scénarios d'usages d'ARTEMIS
Restitution graphique d'ensemble des scénarios d'usages d'ARTEMIS
Annonces, rendez-vous, interviews, restitutions d'ateliers, ... Suivez toute l'actualité des parcours Téthys et Artémis dans notre dossier spécial "TÉTHYS".